Correspondances Voline/Arru (3)
Voline à Arru le 5 août 1944
Article mis en ligne le 13 août 2015
dernière modification le 1er février 2016

par SKS

A noter : Pour des raisons de disponibilité typographique, nous avons mis en gras les mots initialement soulignés par Voline.

Le 5 août 44

Mon bien cher ami,

Je ne t’ai pas répondu vite, à ta bonne lettre du 2/7, car j’ai voulu voir un peu plus clair dans la situation, avant de t’écrire.

Maintenant, mon avis est fait : je ne crois pas utile de quitter Marseille et de me déplacer dansles conditions actuelles. Il serait très risqué de liquider brutalement tout ce que j’ai à Marseille d’assuré, pour me lancer vers le vague et l’inconnu. En ce moment, tout est encore flou. Ici, j’ai au moins mon travail et mon existence assurés. Mais ailleurs ? Rien, absolument rien de sûr. Je quitterais Marseille sans une seconde d’hésitation si la situation générale et les possibilités d’une activité immédiate (ou très proche) justifiaient cette rupture. Mais, en ce moment, ce n’est nullement le cas. Venir dans une autre ville sur un vide, avec la perspective de vivre, pendant un temps, aux crochets de quelques amis, sans possibilité d’agir, m’employant à fond pour trouver des moyens d’existence, serait une bêtise. Je suis fermement décidé de ne quitter Marseille qu’au cas où une activité immédiate m’appellerait ailleurs. Là, je n’hésiterai pas ; et il se peut que cette éventualité devienne bientôt réalité. Mais pour l’instant, il n’y a encore rien.

Au fond, je ne sais même pas si tu es arrivé, toi-même, à t’installer et à t’organiser définitivement. Ta lettre n’est pas très rassurante là-dessus. J’espère avoir assez vite de tes nouvelles pour être fixé.

Ce que je pourrais et voudrais faire, c’est venir te voir, à Toulouse, pour quelques jours. Mais, certaines circonstances rendent ce projet assez précaire. Pour cela, il faut, d’abord, que tu sois, toi-même, définitivement installé et à l’aise. Ensuite, il faut que ce voyage soit possible comme tel – aller et retour – ce qui devient tous les jours moins sûr. Enfin, il faut que je puisse quitter Marseille pour 10 à 14 jours, sans trop de casse dans mon travail. Cette dernière condition est, d’ailleurs, la plus réalisable : je peux arranger les choses – en août surtout, et même en septembre – convenablement. Restent : ta situation et le voyage. Pour ta situation, j’attends ta lettre. Pour le voyage lui-même, nous verrons. De toutes façons, un voyage à Toulouse pour y rester quelques jours, reste à envisager. Ma santé ne s’y oppose pas. J’ai toujours mon "petit bobo" ; mais il reste le "petit bobo" habituel qui ne me gêne pas. Je ne redoute pas une crise aiguë. A propos : je ne m’occupe pas de ce "bobo", car, dans les conditions actuelles, ce serait inutile : il m’est impossible de suivre un régime ; il est impossible de suivre un vrai traitement ; il est impossible de subir une opération (si tel est le cas). Avec tout cela, il faut attendre des temps meilleurs. Donc, je continue comme auparavant, comme si rien n’en était. Et, s’il y a lieu, on fera, un jour, le nécessaire : d’abord, pour savoir exactement ce que c’est ; ensuite, pour supprimer le mal. D’après tous les indices, il n’est pas grave. Probablement, il cèdera à un traitement approprié et à un régime pendant un certain temps. D’ici là, passons !...

Quoi te dire de plus, mon très cher ami ? Sache que je ne me cantonne pas dans mon travail "professionnel". D’une part, je remanie, lentement, mon manuscrit, dans le sens que tu connais : au lieu de reporter tous les raisonnements, explications, réserves etc. aux Conclusions, je les répartis maintenant dans le texte même. Ainsi, les conclusions seront très brèves. Ce travail est utile, car il faut que, le jour venu, tout soit prêt. D’autre part, je suis en relations étroites avec plusieurs amis que tu connais aussi. Imagine-toi que San-Cl. a beaucoup évolué dans le sens où il s’était déjà prononcé jadis à Toulouse. Ceci a provoqué de gros dissentiments parmi les amis, et on s’est adressé à moi pour que je donne un petit coup de main à tous ceux qui veulent labourer la terre autrement que S.-Cl. Il leur faut une bonne argumentation etc. J’ai aussi d’autres relations intéressantes.
Donc, tu es redevenu professeur de Julita. Surtout, patience ! Il ne faut jamais se fatiguer de répéter, d’expliquer, d’insister, toujours avec le sourire, tendrement, en bon frère… Je vous embrasse tous les deux affectueusement.

V.


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