Correspondances Voline/Arru (5)
Arru à Voline le 26 novembre 1944
Article mis en ligne le 13 août 2015
dernière modification le 1er février 2016

par SKS

Toulouse le 26 Novembre 1944

Très Cher ami,

J’ai reçu en temps voulu ta lettre datée du 13 Novembre et tu vois malgré la surcharge de travail qui m’incombe je fais assez vite pour te répondre.
Parlons d’abord de S.I.A. Je pense que tu aurais tort d’attendre le retour de Roumillac pour organiser la section de Marseille. Il faut aller très vite. Voici pourquoi. Nous avons appris que les cocos cherchent à nous imiter et veulent mettre sur pied une histoire de Secours antifasciste ou quelque chose de semblable. Dans le département ils ont reçu des ordres à ce sujet. Je pense donc qu’il serait nécessaire que nous démarrions un peu partout au plus vite, d’autant que pour nous mettre en route, comme nous fonctionnons démocratiquement nous allons toujours plus lentement que ceux qui marchent « par ordre ». Je crois que tu pourrais former la section, avec les camarades que tu as sous la main et que tu pourrais réserver la place de secrétaire à Roumillac pour son retour. En attendant un camarade, Tony par exemple, pourrait faire l’intérimaire.

Inclus je te remets un modèle des statuts imprimés et une lettre circulaire que tu renseigneras sur notre organisation intérieure et sur le travail déjà effectué.
Cette semaine, nous allons faire tirer une affiche format double colombier, pour annoncer l’existence de S.I.A. et ses buts. Inclus je te remets également copie du texte de cette affiche. Tu voudras bien me dire de combien vous seriez preneurs.

Pour la question des étrangers voici comment nous opérons. D’abord Espagnols : nous avons un accord avec le C.N. de la C.N.T. avec lequel il est entendu qu’une délégation de membres espagnols nommés par chaque Fédération locale de C.N.T. siègera en permanence dans le bureau de chaque section locale de S.I.A. mais officiellement ne paraîtront pas.
Pour les Italiens et autres, choisir les membres dans les organisations libertaires si elles existent ou choisir des copains sûrs. Nous sommes bien d’accord pour ne prendre dans les cadres de notre mouvement que des copains sûrs.

QUESTION MOUVEMENT LIBERTAIRE. – J’ai d’assez mauvaises nouvelles de Paris. Je crois que Bouyet ne s’est pas encore entrevu avec Simone Larcher et Louis Louvet. Il faut donc que nous mettions de l’ordre dans toutes ces histoires. Il faut absolument que les groupes de province fassent une pression sur les uns et sur les autres pour les obliger à se fédérer au sein du mouvement libertaire. Je pense que nous devons aller jusqu’à les menacer de transporter la tête du mouvement en province s’ils ne veulent pas faire l’effort nécessaire pour l’unité du mouvement.

Notre groupe demande donc à tous les autres groupes d’écrire en ce sens aux deux mouvements parisiens et faire sur eux le maximum de pression.
D’autre part je viens d’apprendre par Narbonne que ce groupe n’est pas encore renseigné sur les résultats du travail effectué à Agen. Paris ne fait donc pas son travail avec la rapidité nécessaire.

Le Lib n’est pas encore paru. Je viens d’apprendre que l’autorisation de paraître a été refusée, mais que les copains pensent le faire paraître quand même.

Ici, nous avons fait très peu de travail du côté libertaire. Impossible pour moi de m’en occuper sérieusement, je suis débordé avec la S.I.A. et les Jeunesses Syndicalistes. Je ne veux d’autre part lâcher ni l’un ni l’autre parce que je fais du très bon travail. J’attends donc de trouver les éléments nécessaires pour essayer de lancer dans la région notre mouvement et faire une propagande sérieuse. Pour le moment nous nous réunissons à 7 ou 8 toujours tous les jeudis.

Quant à moi, mon cher bon ami, je n’ai plus le temps de penser ni à moi, ni à Julie, ni à personne. De 8 heures du matin jusqu’à minuit ou plus tard, je suis à la permanence de S.I.A. ou en train de vagabonder sur les routes pour aller faire des réunions pour les J.S.F., la C.G.T. ou la S.I.A. Une vie de bâton de chaise, mais une vie qui me plait quand même, malgré les petites amertumes et les désillusions.

Je suis actuellement permanent de la S.I.A., mais tu sais il a fallu que nous luttions contre toujours les mêmes zèbres, ceux qui firent de l’opposition contre toi et qui pensaient qu’il était possible de faire vivre un mouvement en s’en occupant une heure ou deux le soir. Ce n’est pas encore le moment de reposer la question pour toi. Au fond les affaires ne vont pas si vite que je le voudrais. Mais je pense que je pourrais relancer une offensive dès que la question d’un Journal se posera.

Je vois aussi que toi tu ne chômes pas non plus. Et je te souhaite de conserver une santé aussi solide pour pouvoir continuer ce travail de propagande qui nous est si utile. Des hommes comme toi nous avons besoin plus que jamais et il faut donc rester au poste solide jusqu’au bout.

Julie se débat toujours dans son désir de me voir près d’elle et sa nouvelle compréhension de la vie. C’est quelques fois difficile pour elle de surmonter des petites crises d’égoïsme, mais elle va toujours en progressant. J’arrive à lui donner en moyenne une heure de leçons par semaine et elle étudie de son côté. Ce qui fait que peu à peu elle s’instruit et arrive à apprendre un tas de choses qu’elle ne soupçonnait pas. Mais elle regrette son professeur, car malgré ma nouvelle patience, je suis loin de t’égaler.

Julie et moi nous t’embrassons affectueusement en espérant que sous peu tu seras parmi nous.

Arru


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