Voline à Arru le 19 janvier 1945
Article mis en ligne le 1er février 2016

par SKS

Marseille, le 16/I/45

Mon bien cher ami,

En mains ta lettre du 30/XII. Voici, brièvement, quelques points à fixer.

S.I.A. – Roumilhac rentre à Marseille ces jours-ci. Puisque l’affaire est légalisée, il pourra procéder aussitôt à la constitution formelle et totale de la Section Marseillaise. Roumilhac a toute la documentation envoyée par toi. Pour le reste, Tony et moi, nous veillerons. Mais, à notre avis, tu devrais, en tant que Secrétaire Général, envoyer à R. un papier où tu le chargerais, toi-même, officiellement, de la mission. Tu lui diras que, par mon intermédiaire, tu sais qu’il a bien voulu accepter d’établir la section de la S.I.A. à Marseille, en collaboration étroite avec Tony et moi. Tu lui expliqueras ensuite, l’essentiel de ce qu’il devra faire pour bien « asseoir » la section. Tu lui diras que tu serais heureux de le voir président ou secrétaire de la section, à son gré, etc., etc. Remarque que R. est une personnalité, et qu’il faut lui écrire d’une façon « respectueuse ». Ecris-lui donc le premier, établissant ainsi un contact direct avec lui, l’obligeant à agir et à te tenir directement au courant, au moins pour les débuts.
Paris, Le « Lib » etc. – Pour l’instant, c’est à ne rien y comprendre. « Officiellement », on a eu très peu de correspondances avec la Fédération. Personnellement, je n’ai reçu, en tout et pour tout, que deux lettres officielles : une où on me demandait des articles pour le Lib ; et une autre, récemment, où l’on me prévenait d’un accident (ou « incident »), survenu au siège et indépendant de la volonté des camarades : accident qui arrêtait, momentanément, toute correspondance avec le siège et qui, d’autre part, interdisait toute diffusion du n°1 du Lib, « déjà imprimé » (Je suppose que tu as reçu le même avis). Et quant à Tony, il a reçu une ou deux lettres au sujet des sommes d’argent envoyées pas lui, et, enfin, le même avis. C’est tout.
Mais, d’autre part, j’ai eu un mot strictement personnel de Bouyé. (Il faut te dire que j’ai préféré – pour plusieurs raisons – écrire, non pas au siège, mais à Bouyé. C’est à lui que j’ai envoyé les deux articles pour le Lib. Et c’est à lui que je demandais des renseignements sur le mouvement, sur les divergences de vue entre les divers courants, sur les relations avec Louvet, sur le Lib. Etc.).La réponse se fit longuement attendre. Enfin, il y a quelques jours, je l’ai reçue. Elle a été faite le 15/XII, tamponnée à la poste le 16/XII et censurée (ouverte avec la bande du « contrôle »). Elle a mis trois semaines pour m’arriver ! Et cette réponse ne contient rien de précis. Bouyé me dit que, vu l’arrivée à Paris des anciens locataires de la rue Lancry, la Fédération a dû abandonner le siège ; qu’elle a trouvé, au centre, un nouveau local, très confortable ; que le Lib paraîtra mi-clandestinement, et que le premier numéro sera diffusé par Toulouse. Si j’ai bien compris, la Fédération a été plus ou moins brutalement délogée par les anciens du Lib. Mais j’ai dû le lire « entre les lignes ». Je n’arrive même pas à comprendre, d’après cette lettre, si le Lib pourra paraître plus ou moins régulièrement, et où.
En envoyant à Bouyé mes deux articles, je prévoyais l’impossibilité de les faire paraître dans le Lib. Prévoyant cela, notre groupe n°1 de Marseille a pris une décision : de faire imprimer les deux (et la suite) en brochures-tracts et à faire à Paris la proposition de les éditer de même pour la région Nord. J’ai donc fait cette proposition à Bouyé. Il me répond que cette idée est excellente, et qu’on va la soumettre à l’Assemblée générale. A propos : ici, à Marseille, je suis en pourparlers avec des imprimeurs et, probablement, la première brochure sortira bientôt (en « fait accompli »). Je te tiendrai au courant.
Quant à Louvet, Bouyé me dit que les relations entre la Fédération et Louvet restent « très amicales », mais que, naturellement, l’œuvre et l’activité de Louvet n’ont rien de commun avec celles de la Fédération.
Louvet m’invite à collaborer (même à venir à Paris). Je ne lui ai pas encore répondu, car je ne sais pas du tout à quoi m’en tenir avec toutes ces histoires floues, glissantes… Pour l’instant, je ne m’occupe donc que des brochures. Et quant aux groupes d’ici, ils sont à peu près inactifs, n’ayant aucune « matière d’action ».
Tony a reçu un avis de Nîmes qu’un paquet de 4 K pour lui était en souffrance à la gare de Nîmes. Il a écrit là-bas, demandant de faire suivre le paquet sur Marseille, à l’adresse de Gleize. Il ne faut pas envoyer des imprimés à Tony directement. Il l’a signalé expressément à Paris ; et il fut très étonné de recevoir l’avis du chemin de fer. Il suppose que c’est le Lib. De Toulouse, et que les camarades de Paris ont négligé de te donner l’adresse de Gleize.

Voilà tout pour l’instant. Je complète ma lettre de quelques indications concrètes.
1°/ Je n’ai reçu aucun paquet de tracts-manifestes de la S.I.A.
2°/ Envoie tout (documents, tracts, circulaires, affiches etc.) à Roumilhac. De cette façon tu tiendras R. en haleine. Et, du même coup, Tony (il travaille chez R.) et moi (je vois Tony très souvent), nous aurons aussi ce qu’il faut. Commence donc à correspondre directement avec R. Ce sera autant avec Tony et moi. J’entends par là toute correspondance officielle de la S.I.A.
3) : Je n’ai rien à te dire au sujet de ton projet de me faire venir à Toulouse comme permanent au journal. Naturellement, la considération essentielle serait que le journal paraisse régulièrement et d’une façon stable. Mais, est-ce possible. Nous vivons des temps si troubles que tout est aléatoire ; coulant, changeant… enfin ! On verra…

Voici à tout hasard, l’adresse de Roumilhac.

Monsieur Roumilhac
La Compagnie du Fil de Lin
83 Cité Industrielle
Pointe-Rouge
Marseille (B.-du Rh.)

L’adresse de Gleize :

Monsieur Gleize
Chromage
94 rue d’Aubagne
Marseille (B.-du Rh.)

Mon cher ami, je crois t’avoir dit l’essentiel.
Je comprends bien que tu n’as pas une minute à respirer. Mais tu as la satisfaction d’œuvrer uniquement pour la cause. Tandis que moi, je suis obligé d’arracher les heures de ce travail à celles du repos… Ah ! Si j’étais Français !
Je t’embrasse affectueusement ainsi que Julie.

Voline

P.S.- Ne précipite pas les choses avec mon travail à Toulouse. Il faut que cela soit mûr. Je ne voudrais en aucun cas supporter une situation fausse ou équivoque. Je n’irai à Toulouse qu’à condition que mon travail là-bas soit absolument indispensable et que tous les camarades (les « zèbres » y compris) soient d’accord là-dessus, sans arrière-pensée. Sinon, ils commenceront contre moi une campagne sourde et répandront le bruit que l’on a créé une place juste pour moi etc. J’ai assez vécu dans nos milieux pour savoir jusqu’où peut aller la méchanceté etc. de tels « camarades »…
Tiens absolument compte de ce que je dis, pas ?


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