Le marquis de Sade,anticonformiste et libre penseur »
causerie du 5 février 1978
Article mis en ligne le 13 avril 2008

Pourquoi parler du Marquis de Sade ? Sans doute en premier lieu, est-ce le rôle de la Libre Pensée de faire connaître des écrivains qui ont été interdits, et dans le cas de Sade, non seulement pendant sa vie mais encore durant les cent cinquante années qui ont suivi.
Il s’agit d’un auteur important, prolixe (ses œuvres complètes représentent quinze volumes de sept cents pages chacun), dont tout le monde a entendu parler, mais qui est en fait très peu connu. Cela probablement en raison de l’étendue de ses écrits et de leur publication tronquée, édulcorée ou interdite. Depuis peu Sade est édité librement, mais il n’y a pas si longtemps que J.J. Pauvert était poursuivi pour l’avoir publié.

Issu d’une famille présente en Provence depuis le XIIème siècle, Donatien, Alphonse, François de Sade est né à Paris le 2 juin 1740. Sa mère était dame d’honneur de la princesse de Condé. En 1744 il est confié à sa grand-mère et à ses tantes en Avignon, puis en 1746 à son oncle l’abbé de Sade. Cet abbé, ami de Voltaire, érudit, historien, prenant pas mal de libertés quant à ses vœux de chasteté ecclésiastique, paraît avoir communiqué au jeune Sade un amour particulier des lettres.

Après quelques années au collège de Clermont, Sade entre à 14 ans dans les armes et participe à la Guerre de Sept Ans. Il est « démobilisé » en 1763, et se marie en Mai avec Renée de Montreuil, fille du Président de la Cour des Aides, union arrangée par les deux familles. A la fin de 1763, il est incarcéré pour la première fois, pour « débauche en petite maison ». D’autres affaires vont suivre, dont il sera parlé plus loin. Dès cette époque, Sade connaît la prison, avec quelques périodes de liberté où il demeure cependant toujours sous la puissance des lettres de cachet. A la suppression de celles-ci, décidée par l’Assemblée de 1790, il est libéré, adhère à la Section des Piques et vit avec Marie Constance du Quesnet qui restera pour lui une compagne fidèle et dévouée. En 1793, sous le règne de Robespierre, il échappe de peu à l’exécution, est libéré deux ans plus tard et à nouveau emprisonné en 1801 par « décision administrative », sans jugement, pour avoir publié Justine. En 1803 il est à Charenton où il meurt le 2 décembre 1814.

Les affaires dont on a tiré sa réputation de « sadique », qui se déroulent à quelques années d’intervalle à Paris, Marseille et à Lyon, sont à examiner par rapport à l’époque. A nos yeux de contemporains, si elles sortent du comportement sexuel ordinaire, elles sont loin des atrocités qui sont par contre décrites dans son œuvre. Il semble bien du reste que c’est l’aspect blasphématoire, sacrilège et antireligieux de l’attitude de Sade, qui fut condamné alors, plus que ses fantaisies sexuelles.

[*Sous le prétexte des scandales, l’homme qui a été poursuivi, emprisonné, interdit – et ce par la république comme par la royauté – est tout à la fois l’athée, le philosophe, le pornographe, l’ennemi des pouvoirs.*]

A cinquante ans (en 1780), alors qu’il est incarcéré, Sade commence à écrire. Pour la clarté de l’exposé, il sera présenté successivement différents aspects de l’œuvre. En fait ce « classement » est purement artificiel, puisque les passages philosophiques et les descriptions d’orgies non seulement alternent, mais s’articulent les uns aux autres, les uns étant l’analyse ou la démonstration des autres.

L’aspect pornographique est loin d’inciter à l’excitation sexuelle et aurait plutôt pour effet d’écoeurer par lassitude. Il est vrai d’autre part que Sade avertit ses lecteurs : « Je ne parle qu’à des gens capables de m’entendre et ceux-là seuls me liront sans danger ».

Si Sade a beaucoup écrit, il a également beaucoup lu, et on retrouve dans son œuvre maintes références à d’autres penseurs : Rousseau, qu’il contredit, mais surtout Diderot, La Mettrie, Helvetius, et le baron d’Holbach. Ces derniers semblent lui avoir apporté des bases notamment dans le domaine de l’athéisme.

Athée, Sade l’est incontestablement. Et il l’exprime par des raisonnements solides, par de profondes réflexions, mais aussi, ennemi total, par la truculence du style, bafouant, insultant, méprisant la religion et le clergé avec une haine et une virulence extraordinaires. Philosophe et homme social, Sade étend son analyse à de nombreux sujets et fait preuve d’une étonnante avance sur son temps.
Son idée de la nature le situe d’emblée comme rationaliste et matérialiste. Il refuse la notion de « cause première », replace l’homme comme une espèce vivante parmi d’autres. A propos de l’âme : « Rien d’étonnant dans le phénomène de la pensée ou du moins rien qui prouve que cette pensée soit distincte de la matière ».

Il pense que tout le comportement peut se rattacher à la sexualité, et que les évènements et les impressions de la première enfance sont déterminants pour l’avenir de l’être humain.

[*Sur le plan social, il démontre que les religions, les préjugés s’opposent à la liberté et à la république, proclame, avant Proudhon, que la propriété c’est le vol, s’engage contre la peine de mort, critique la guerre, pose le problème de l’application de la loi à qui ne peut pas, constitutionnellement, s’y soumettre.*]

Ainsi, parce qu’il n’accepte pas les idées reçues, par cette espèce d’irrespect qu’il cultive et développe, Sade remet tout en question et nous incite à en faire autant.

Libre penseur, athée, matérialiste, partisan de la liberté des individus et d’une société aux lois douces, il dit notamment : « Si vous voulez fonder une république, ôtez au peuple le moins de pouvoir qu’il est possible. Si vous voulez rendre l’homme à la liberté, ne l’accablez pas sous le faix du pouvoir ».

Cette œuvre, considérée longtemps comme « satanique », connaît aujourd’hui de nombreux défenseurs.
Ce qui pourrait amener à cette conclusion, pour la Libre Pensée, qu’il faut s’opposer à toute interdiction d’une création, littéraire ou autre, même si elle nous déplait. Etre anti-censeur par principe, et ne pas préjuger de ce qu’une œuvre peut apporter, dans le moment actuel ou plus tard.

Ce compte rendu résume en deux pages une causerie qui a apporté de très nombreuses informations et réflexions tant sur la vie du Marquis de Sade que sur son œuvre. Un débat a suivi et a permis de préciser et d’approfondir encore certains points.

( Compte rendu, par Sylvie Knoerr, de la causerie du 5 février 1978, ayant pour titre « Le marquis de Sade,anticonformiste et libre penseur » dans La Libre Pensée des Bouches du Rhône, n° 35, avril 1978).


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