André Arru
Un militant exemplaire : Vsévolod Mikhailovitch VOLINE
Article paru dans le n° 282 du Libertaire (28.09.1951)
Article mis en ligne le 2 juillet 2007

Il y a déjà six ans que Voline mourait, jeune encore, il n’avait que 63 ans. La tuberculose foudroyante qui l’emportait était le résultat de privations subies non seulement pendant la dernière guerre, mais encore pendant les quarante ans de militantisme qui le mena de prison en exil et d’exil en prison.
Plusieurs fois sa vie mouvementée a été retracée dans nos journaux et revues et il faut espérer qu’un jour l’un de nous aura les éléments nécessaires pour écrire le volume que mérite l’homme et le révolutionnaire qu’il fut.

Dans ces quelques lignes, je m’attacherai donc, non pas à un résumé biographique, mais à quelques détails, quelques particularités, quelques anecdotes. La personnalité d’un être humain, sa conviction, sa sincérité se livrent dans ces petits riens que sont gestes éclairs et attitudes spontanées.

La première qualité qui me frappa en Voline fut son courage tranquille. Il faisait toute chose dangereuse pour sa liberté ou pour sa vie d’une manière simple et naturelle. Lorsque je fis sa connaissance durant l’hiver 40-41, ce fut pour lui proposer de travailler avec notre groupe clandestin de Marseille ; dès que j’eus terminé de lui expliquer ce que nous faisions et ce que nous voulions faire, c’est sans hésitation qu’il me répondit « tu peux compter sur moi ! ».Depuis ce jour jamais il ne manqua une de nos réunions et en était un des membres les plus dynamiques. Je me souviendrai toujours du soir d’hiver de 1943 où tous deux venions de mettre au point une affiche, au moment où je le raccompagnais, avant d’ouvrir la porte il se retourna pour me dire : « Tu sais, à présent que ma santé est meilleure, si tu as besoin de quelqu’un pour une équipe d’afficheurs, pense à moi ». C’était dit avec tant de sincérité et même dirais-je de naïveté, que je fis semblant d’accéder à son désir, mais je dus par la suite trouver des biais, pour ne pas l’embarquer dans une aventure où il risquait plus que nous. Non seulement il était physiquement handicapé par son âge (58 ans) et par une myopie assez forte, mais de plus il était Russe, demi-juif, pourvu d’un dossier volumineux à la préfecture de Marseille et nous étions en pleine occupation hitlérienne.

Depuis la déclaration de guerre en 1939, il ne devait d’être en liberté qu’au fait que tout en étant Russe il avait été expulsé de Russie et que d’autre part ses enfants étaient mobilisés en France. Convoqué à la préfecture il dut répondre pendant deux ou trois jours aux questions saugrenues d’un de ces « Messieurs » de la Sûreté Générale, assez bienveillant du reste, et qui tout au début de l’entretien lui tendit la perche par cette question : « Vous ETIEZ anarchiste ? » Et Voline de lui répondre d’un ton doucereux : « Oui, et je le suis toujours. » L’autre, dérangé dans ses projets de rapport, insiste : « Vous prétendez-vous toujours être anarchiste ? » Tandis que Voline lui répliquait « Mais oui, vous ne pensez tout de même pas que je vais me désavouer en ce moment ? ». Voline riait en racontant cet épisode au souvenir du mal que s’était donné le flic en question pour que son rapport ne soit pas catastrophique pour notre ami.

Voline est mort prématurément d’avoir été trop honnête. C’est son honnêteté, tant morale que matérielle, vis-à-vis de tout et de tous, idéal, amis, camarades, employeurs, qui le fit rester des années consécutives en perpétuel état de sous-alimentation et qui fit de son mal quelque chose d’inexpliqué d’abord et de foudroyant ensuite.
Pendant le temps de l’occupation il reçut plusieurs fois des offres de personnes, amis ou camarades, qui voulaient l’aider et je me souviens particulièrement d’une lettre d’un israélite qui lui offrait de l’héberger dans l’Ardèche, défrayé de tout souci matériel et tout à sa disposition pour mettre au point son oeuvre « La Révolution Inconnue ». Nous l’incitâmes à accepter, mais après plusieurs jours de réflexion il refusa. Il ne voulait vivre sur le dos de personne et de plus voulait rester dans une grande ville pour le cas où des événements importants se produiraient à la fin de la guerre.

A la libération, étant à Toulouse et sachant Marseille privé de tout, j’invitai Voline à me rejoindre. Je reçus bientôt sa réponse : à Marseille il se débrouillait, à Toulouse il risquait de ne pas trouver de travail dans l’immédiat et ne voulait pas vivre à mes crochets. « Inutile d’insister sauf si le mouvement a besoin de moi », terminait le paragraphe traitant de cette question.

Lorsqu’il enseignait, sa patience n’était jamais en défaut. Il donnait des leçons de russe, d’allemand et de français ; vingt fois, cinquante fois, je le vis faire répéter un mot que l’élève écorchait toujours, jamais il n’élevait la voix, toujours il terminait sa leçon par des paroles d’encouragement, même s’il avait devant lui une buse. Ses leçons de langue étaient de véritables récréations. Très souvent il connaissait l’origine d’un mot et donnait l’explication des différentes modifications qu’il avait subies au cours de l’histoire.

Scrupuleusement honnête, tranquillement courageux, patient, volontaire, pourvu de vastes connaissances et d’un passé chargé d’expériences révolutionnaires vécues, bon écrivain, bon orateur, excellent éducateur, voilà quelques aspects de l’homme qu’était Voline, cela suffit pour en faire un moment de notre histoire, une partie de la bonne conscience humaine.
Il nous manque parce que dans notre époque une telle valeur est malheureusement irremplacée. Pourrons-nous dire un jour : « Un de perdu, dix de retrouvés » ? Je veux l’espérer, ne serait-ce que pour lui et tous ceux qui ont été, sont et seront de sa trempe.

A.ARRU

(Nom complet de Voline :
Vsévolod Mikhaïlovitch Eichenbaum, dit Voline)


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