Voline n’est plus
Article paru dans le Libertaire, n° 11 (5 octobre 1945), rédigé par André Arru, mais non signé (il n’est pas fait mention de noms d’auteur dans Le Libertaire de cette époque).
Article mis en ligne le 3 juillet 2007
dernière modification le 8 janvier 2008

Triste nouvelle. Voline, l’un des meilleurs parmi nous tous, s’est éteint mardi 18 septembre, à l’hôpital Laënnec, et a été incinéré au Père-Lachaise dimanche 23.

La tuberculose a eu raison de ce corps nerveux qui, sans les privations, aurait dû vivre de très longues années encore. Sa mort allonge la liste, trop longue, hélas ! des pertes irréparables de ces six dernières années parmi les nôtres.

La vie de Voline fut un combat continu, fait avec un courage tranquille, un optimisme que rien ne pouvait ébranler, une simplicité qui détonne dans ce monde de « m’as-tu vu » dont l’ignorance n’a d’égale que la bassesse et l’ambition.

Il était né en Russie, le 11 août 1882, à Tirelivine, d’une famille de médecins. Il fit de brillantes études supérieures à l’université de Saint-Pétersbourg. Dès l’âge de seize ans, il était attiré irrésistiblement par les questions sociales. C’était l’époque où, sous l’influence de Herzen, Gogol, Dostoïevski, Tourgueniev, Kouprine, Tolstoï, Bakounine, Kropotkine, les étudiants « allaient au peuple » et l’instruisaient malgré la répression.

Voline, en complet désaccord avec ses parents, abandonne ses études à l’Université et commence son activité révolutionnaire.
Vient la révolution de 1905. Voline s’y jette corps et âme. Arrêté, il est enfermé pendant les longs mois où l’on instruit son procès dans la forteresse Petropavlosk, réputée pour la rigueur de son régime, puis condamné à la déportation perpétuelle en Sibérie.
Il s’évade avant d’arriver à son lieu de déportation et arrive en France en 1907.

Inlassable, il reprend son activité révolutionnaire et prend plus amplement contact avec le mouvement libertaire européen et d’Amérique, et milite jusqu’en 1914. Avec Malatesta, Sébastien Faure, etc., il refuse de signer le manifeste des « Seize » et, mieux, publie un tract où il dénonce le capitalisme international fauteur de guerres.
A la suite de son activité et de cette publication, il est obligé, afin de ne pas être arrêté, de fuir la France, où il laisse sa femme et quatre enfants, réussissant à s’embarquer comme soutier sur un bateau partant pour l’Amérique.

Inlassable, son activité se déploie aussitôt aux Etats-Unis où il est notamment rédacteur à plusieurs journaux anarchistes. La première révolution de février 1917 jette la dynastie impériale par terre. Il accourt aussitôt en Russie où, pendant quatre ans, il déploie la plus grande activité de sa vie : organisation de groupes, de journaux, de fédérations, de congrès, il est l’âme du mouvement anarchiste russe.
Puis, c’est l’épopée du mouvement makhnoviste, dont il est le cerveau, qui devait durer deux ans en Ukraine, réalisant la première tentative d’instauration du régime libertaire.

Lorsque la domination du bolchevisme s’étend sur toute la Russie, il refuse toute collaboration aux propositions du gouvernement soviétique, les traités passés entre l’armée de Makhno et l’armée rouge ayant été trahis par cette dernière. Arrêté une fois de plus, il est traîné de prison en prison. Malade, il doit de vivre à un geôlier qui, le connaissant de longue date, le soigne et le sauve.

Condamné à mort, il aboutit enfin à la prison de Boutirki où se trouvent de nombreux syndicalistes et anarchistes. La délégation syndicale française, au Congrès de Moscou, conduite par Sirolle, porte la question à la tribune dès l’ouverture des débats et obtient l’élargissement de tous les authentiques révolutionnaires qui ont tout donné pour la cause du peuple, mettant fin à cette scandaleuse détention.

Voline est libre, mais obligé de quitter la Russie. Le voici à Berlin où il reprend la publication de Goloss Trouda ( La voix du Travail ), qu’il avait rédigée en Amérique et en Russie. Polyglotte, il correspond en russe, français, allemand, anglais, et, plus tard, en italien et en espagnol. Son activité en Allemagne dure de 1921 à 1925. A cette date, son arrêté d’expulsion ayant été levé sur l’intervention de H. Sellier, il rentre en France.

Dès lors, son activité se manifestera partout. Livres, brochures, journaux, études pour l’Encyclopédie anarchiste, conférences, congrès, où on verra toujours sa barbiche sympathique.

Notons que pendant la révolution espagnole il était le principal rédacteur de Terre Libre et de l’Espagne antifasciste, où il publia des articles d’une rare clairvoyance.

Réfugié en zone sud pendant la guerre, il prend une part active au mouvement clandestin. Mais les privations ont ruiné son organisme. Sous-alimenté (un camarade le trouvera n’ayant pas mangé depuis trois jours, couchant dans un garage, vêtu de vêtements usés), il écrit encore jusqu’à trois heures du matin, toujours confiant, toujours optimiste, sans se plaindre de sa situation personnelle, cherchant à ne pas laisser soupçonner son extrême détresse physique.

Ça et là, au hasard, il donnait quelques leçons lui procurant de maigres cachets.

Il laisse une oeuvre relativement considérable qui étonnera lorsque nous pourrons publier ses manuscrits.
Voici, tracée à grands traits, ce que fut la vie de celui qui nous quitte. Puisse son exemple inspirer les jeunes et faire germer la semence que toute sa vie il jeta à pleines mains.

Bien qu’aucune publicité n’eût été faite, plus de deux cent cinquante camarades assistaient à l’incinération, attestant par là le souvenir vivace qu’ils gardaient de celui qui fut un de leurs guides.
Plusieurs camarades prirent la parole au nom du syndicalisme révolutionnaire, des mouvements libertaires espagnol et français, ainsi que l’un de ses fils.

Que ses proches trouvent ici toute notre immense tristesse et ce que nous lui gardons de toute notre affection.


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