Il y a quelques semaines, j’ai déçu une grande partie des bons copains révolutionnaires qui remplissaient une salle pour commémorer ce qui ne pouvait pas être la « révolution espagnole », mais a été tout simplement la guerre d’Espagne. Invité à parler, je l’ai fait à contrecoeur, sachant que je ne pouvais être compris de la plupart des auditeurs : vétérans de la guerre d’Espagne, qui ont lutté d’abord dans les rangs de la C.N.T. et de la F.A.I., puis dans les milices révolutionnaires, et ensuite ont été incorporés à l’armée républicaine. Les jeunes présents pouvaient comprendre moins encore, eux qui, impatients et souvent mal informés, attendent d’un moment de lutte, serait-elle atroce, une solution simple et définitive de problèmes qui divisent l’humanité depuis toujours.
Les uns et les autres espéraient de moi autre chose que cette affirmation de ma conviction que toute violence collective est un leurre contraire à l’instauration d’une société de progrès vers la justice, l’égalité, la liberté.
Puis j’ai fini de décevoir l’assemblée en lui laissant entendre que toute idéologie relevait beaucoup plus de la mystique que de la raison, ce qui expliquait le choix de la violence, dont les comportements sont irrationnels, pour instaurer une société pacifique et pacifiste.
J’avoue qu’il eût fallu un débat que les organisateurs n’avaient pas envisagé. Il n’eût sans doute convaincu immédiatement personne, mais il aurait amené quelques-uns à approfondir.
J’ouvre donc ici ce débat ; peut-être même, en plus des lecteurs habituels, des auditeurs de la dite réunion y participeront-ils...
C’est une croyance répandue parmi les révolutionnaires organisés que le moment venu la violence peut devenir le moyen ultime pour transformer une société aux finalités esclavagistes en une société aux termes et comportements solidaristes.
Passe encore pour les partisans d’une dictature, même qualifiée de prolétarienne. Eux, sont dans la logique des choses. Car ici, si le mot révolution est employé, c’est tromperie ou erreur ; il faut parler de coup d’Etat, c’est-à-dire de continuité de l’Etat sous un autre aspect.
Ainsi l’Etat demeure,c’est la forme de gouvernement qui change. La police, l’armée, l’administration restent en place, seuls les chefs sont autres. La violence peut donc faire partie des moyens envisagés pour s’emparer des leviers de commande, puis ensuite pour les conserver. Ainsi les prisons se vident pour se remplir à nouveau, les camps de concentration, de travail ou de redressement restent, se créent, s’agrandissent. Les nouveaux tenants du gouvernement, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, lorsqu’ils sont parvenus au pouvoir, mettent aussitôt la liberté en réserve.
Elle sera pour après-demain. Aujourd’hui, le pouvoir pris, c’est le régime des exécutions, il faut se faire craindre, plus on est faible plus on tue. Demain, la situation bien en mains, ce sera l’ère des procès, des camps. On consolidera ainsi le nouveau régime, on supputera le pire pour disculper la surveillance policière. L’après-demain n’arrivera pas, la liberté restera inscrite dans les cieux comme les dieux des croyants.
La révolution n’a pas eu lieu, c’est-à-dire la mise en place d’une société opposée à la précédente. Pour le socialisme ce serait la suppression de l’armée, de la diplomatie secrète, l’égalité économique, la liberté accrue, la solidarité sociale en marche, etc. A ce jour les prétendues révolutions ont exalté le nationalisme, déplacé, transformé mais maintenu les inégalités économiques, amplifié la méfiance et la peur de l’autre, réduit les libertés individuelles, fourni aux autres peuples des armes pour s’entre-tuer. Ce sont bien des coups d’Etat !
Alors je suis étonné qu’une grande partie des libertaires, anarcho-syndicalistes, anarchistes et autres révolutionnaires, disciples, propagandistes, partisans sincères d’une véritable révolution sociale fondée sur une nouvelle conception des moeurs, s’accrochent encore à cette mystique de la violence.
Je sais bien qu’ils ne l’envisagent pas pour prendre le pouvoir, mais pour le détruire, et permettre ainsi aux peuples hiérarchisés de trouver leur liberté, de s’autoguider, de s’autogérer, etc.
Ne s’abuse-t-on pas en pensant que rejeter un pouvoir par la force brutale, c’est ne pas le prendre ?
Et puis, après avoir magnifié la violence en tant que nécessité indispensable à la révolution, comment la contrôler ? Comment en mesurer les effets ? Quand et comment l’arrêter ? Comment éviter que les plus violents, les plus exaltés entraînent les foules ? La violence est, tout le monde le sait, une drogue psychique qui rend fou, et qui est sans aucune limite. L’action violente – serait-elle menée par des révolutionnaires – débouche sur des monceaux de cadavres et donne naissance à des bourreaux.
Il faut trouver autre chose.
André ARRU