Article d’André Arru daté du 20.03.1947 probablement inédit :
La solidarité ou la mort
Article mis en ligne le 9 juillet 2010

Lorsque KROPOTKINE écrivait sur l’Entr’aide, qui en somme est la pure pratique de la Solidarité, les problèmes posés à l’homme par la vie en Société étaient loin de revêtir la forme aiguë qu’ils ont de nos jours.

Actuellement le divorce de l’Individu et de la Société atteint au tragique. L’homme avait placé sa confiance dans la Société, il lui avait confié son capital humain, sûr qu’il était que de l’union des forces individuelles il résulterait pour lui et pour tous un avantage certain.

La Société s’est révélée banque véreuse, non seulement elle ne procure nul bénéfice mais encore elle dilapide le capital humain par l’exploitation et la guerre. Ce n’est pas que l’idée de Société soit viciée à la base. Il serait difficile de prétendre que les hommes peuvent se replier sur eux-mêmes au point d’éviter tout contact matériel, moral ou intellectuel avec la Communauté humaine. Ce n’est ni réalisable ni même désirable et le plus farouche individualiste qui fuirait tout rapport avec ses semblables se sentirait bien vite considérablement diminué dans sa personne physique comme dans son activité intellectuelle. Les individualistes ne veulent pas cela et, au demeurant, ils se sont toujours révélés les plus ardents pratiquants de l’Entr’aide.

L’idée de Société n’est donc pas en discussion, mais par suite de multiples causes qu’il serait trop long d’analyser dans ces colonnes, elle a subi une déviation qui a substitué à l’Entr’aide, sa base naturelle et sa raison d’être même, l’exploitation de l’homme par l’homme.

Nous en vivons les tristes aboutissants : guerre incessante entre les individus, hécatombes périodiques, misère dans l’abondance.

Il faut être inintelligent ou profiteur pour ne pas se rendre à l’évidence que notre système social nous conduit à la mort au pas accéléré. Le niveau de vie de quatre-vingt-quinze pour cent de la population s’est dégradé, n’étant plus que de cinquante-huit pour cent de celui de 1938, et ce n’est pas la baisse (des prix) de dix pour cent qui l’élèvera !

A l’horizon les risques de conflit armé se précisent. Les journaux américains se complaisent à publier certaines analyses des armes secrètes découvertes en Allemagne : un appareil à rayons infrarouges qui permet aux tanks de rouler la nuit à toute vitesse et aux tireurs d’opérer comme en plein jour ; des bombes de quinze tonnes télécommandées parcourant 4500 kilomètres à une vitesse de 9.300 Kms à l’heure ; puis les armes atomiques. Tous les laboratoires de la planète sont mobilisés pour la « dernière » qui pourrait être d’autant plus proche que les peuples s’agitent et semblent enfin se lasser des tracasseries pratiquées par tous les partis politiques et tous les gouvernements.

Ce n’est pas par l’illusoire hausse des salaires, la pitrerie de la baisse des prix, l’institution d’un minimum vital de mort lente, la sécurité sociale de crever de misère pour constituer un nouveau trésor de guerre, la dictature d’un traîneur de sabre, d’un bateleur ou d’une équipe de choc qui nous éviteront une fin sanglante, ultime conséquence de la déviation sociale dressant l’homme contre l’homme au lieu de les associer.

Il faut qu’à défaut d’audace de la part des supposés dirigeants et élites, un vaste mouvement populaire purificateur remonte à la cause première de la vie en Société : la pratique de la Solidarité, et édifie sur cette solide et saine base une construction sociale nouvelle.

Inutile de souligner que cette construction ne peut fixer ses assises sur les méandres de ridicules frontières nationales alors que le moindre des problèmes humains revêt une envergure planétaire.

Le ciment social ne pourra être constitué que de libre consentement car nous connaissons trop les souffrances et la déchéance qu’engendrent les régimes autoritaires pour perpétuer la contrainte dans la cité nouvelle.

Notre but apparaîtra à certains comme utopique ; qu’ils sortent de la torpeur dans laquelle les plonge une presse indigente et soporifique, qu’ils examinent la situation avec un esprit critique mis en alerte par le danger évident et imminent d’une catastrophe prochaine, qu’ils étudient les lamentables propositions de replâtrage d’un régime déjà totalement corrompu.

Face à la mort certaine par ce régime, ils ne trouveront que la large voie de salut de la Solidarité dans laquelle nous les appelons de toute la force de nos convictions et de notre amour fraternel.

Au sein de S.I.A. [1] nul n’oubliera jamais le but ultime, foncièrement révolutionnaire, d’instauration d’un nouveau contrat social dans et par la liberté, mais encore par la pratique journalière de l’Entr’aide nous contribuerons à redresser quelques injustices et à alléger quelques souffrances.

L’éducation dans l’action et par l’action, voilà la tâche à laquelle S.I.A. vous convie.

A. ARRU


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