L’ÉGLISE ET L’ENSEIGNEMENT
2ème partie : L’ ÉCOLE CONFESSIONNELLE CATHOLIQUE
Article mis en ligne le 20 octobre 2010

2 – L’ ÉCOLE CONFESSIONNELLE CATHOLIQUE

Si les libres-penseurs [1] combattent avec acharnement l’enseignement catholique, et si, à quelque groupe philosophique qu’ils appartiennent, ils sont unanimes pour en dénoncer la nocivité, ce n’est pas pour la seule raison de croyance, c’est aussi et surtout parce qu’ils en refusent l’esprit et les méthodes.

Quel est cet esprit, quelles sont ces méthodes ? André Schimberg, pourtant favorable aux Jésuites, va nous en donner un aperçu :
Mieux que personne, nous dit-il, ils (les Jésuites) se sont rendus compte de la malléabilité de l’enfance, mieux que personne aussi ils ont prétendu en tirer parti, s’adressant à la fois et dans le même temps aux sens, à l’esprit, au cœur, à la volonté. C’est une suggestion – en prenant ce mot dans son acception la plus haute – que les Pères pratiquent sur les âmes en psychologues consommés. [2]

L’ esprit

L’important, ici, n’est pas de savoir si la suggestion est faite dans un but élevé ou ignoble, mais de constater que l’enseignement de l’Église cherche à imprimer à jamais le cerveau neuf de l’enfant pour en tirer parti, lui enlevant dès son plus jeune âge sa liberté de penser, de juger et par cela même d’agir.

Si les libres-penseurs [3] combattent avec acharnement l’enseignement catholique, et si, à quelque groupe philosophique qu’ils appartiennent, ils sont unanimes pour en dénoncer la nocivité, ce n’est pas pour la seule raison de croyance, c’est aussi et surtout parce qu’ils en refusent l’esprit et les méthodes.

Quel est cet esprit, quelles sont ces méthodes ? André Schimberg, pourtant favorable aux Jésuites, va nous en donner un aperçu :
Mieux que personne, nous dit-il, ils (les Jésuites) se sont rendus compte de la malléabilité de l’enfance, mieux que personne aussi ils ont prétendu en tirer parti, s’adressant à la fois et dans le même temps aux sens, à l’esprit, au cœur, à la volonté. C’est une suggestion – en prenant ce mot dans son acception la plus haute – que les Pères pratiquent sur les âmes en psychologues consommés. [4]. L’Église cherche à imprimer à jamais le cerveau neuf de l’enfant pour en tirer parti, lui enlevant dès son plus jeune âge sa liberté de penser, de juger et par cela même d’agir.

Dans leur propagande, militants et sympathisants cléricaux voudraient nous faire accroire que cet esprit a changé, qu’il n’est plus ce qu’il était il y a des siècles, que l’Église est devenue tolérante, que l’Inquisition est d’une époque révolue, qu’aujourd’hui l’Église a des vues larges et modernes.

Je fais répondre à ceux-là par le cardinal Verdier, un des hommes d’Église qui fut considéré à vues larges :
L’Église, écrit-il, impose à ses fidèles, tout le monde le sait, les vérités dogmatiques et morales dont Notre Seigneur Jésus-Christ, son fondateur, lui a confié le dépôt. En dehors de ce domaine, elle laisse à ses enfants une juste et sage liberté... Entendons par ces mots que l’Église exige l’assentiment et l’obéissance pour les vérités qu’Elle proclame révélées ou certaines, pour les préceptes qu’Elle juge nécessaires ou utiles au salut et pour les directives qu’Elle donne en vue du bien religieux ou moral. [5]

Étudions ce texte. D’abord, le cardinal semble catégorique, franc, loyal ; il ne tergiverse pas : L’Église impose... Puis il se fait plus souple, il laisse entrevoir que l’Église sait modérer ses exigences. Enfin, il explique, mais de telle manière que ces précisions apparemment claires restent dans le vague, l’indéfini. C’est l’argumentation typique du Jésuite qui sert à tranquilliser l’adversaire et à enchaîner un peu plus l’indécis. Or, il résulte de ces quelques lignes que l’Église peut avoir dans tous les domaines, de la vie sociale à la vie privée, un précepte, une directive à imposer pour lesquels, suivant sa puissance, elle exigera avec plus ou moins de menaces « l’assentiment ( !) et l’obéissance ». Nous savons déjà que les exigences de l’Église sont multiples, ses directives « en vue du bien religieux ou moral » infinies. Elles vont, par exemple, de l’enseignement des vérités révélées, imposées même aux enfants de familles athées ou de religions différentes, à la réglementation de l’ampleur des maillots de bain. Toutes choses et bien d’autres pratiquées, dans le présent, en Espagne et en tous lieux où l’Église règne sans conteste.

La concurrence qui oppose l’école laïque à l’école catholique a mis cette dernière dans l’obligation d’une apparente évolution. Il fallait attirer la clientèle, toujours impressionnable. Mais les méthodes restent celles qui étaient en vigueur avant 1789 et restent fatalement basées sur l’esprit qui les guide : obéissance, respect obséquieux.
Si nous ouvrons un manuel de morale ou d’enseignement religieux quelconque, en cours dans l’enseignement catholique à tous les degrés, nous y trouvons à tous instants les préceptes suivants :

 Soumission et obéissance aux parents.

 Soumission et obéissance aux chefs et aux ministres de l’Église.

 Soumission et obéissance aux représentants de l’autorité civile.

 Soumission et obéissance aux éducateurs.

J’ai sous les yeux une circulaire datée de février 1948, émanant d’une école libre de Marseille et destinée aux parents d’élèves. Elle a cinq pages et s’intitule : Conclusions tirées du Questionnaire sur l’Obéissance . Elle serait à reproduire entièrement, car elle démontre à quelle poigne de fer le monde serait soumis sous la dépendance des cléricaux. En voici un aperçu :

Le principe de l’autorité est Dieu même. Les parents... les éducateurs... tiennent leur autorité de Dieu et ainsi pour toutes les autorités légitimes. ( ?) Là, nous trouvons la raison des qualités de l’obéissance : l’enfant doit obéir promptement, sans discuter, de son mieux. Or, ce principe même de l’autorité est passé sous silence à l’heure actuelle, quand il n’est pas nié. Si l’on accepte d’obéir, c’est au chef qu’on s’est choisi soi-même, ou bien au chef dont les qualités, dont la valeur nous apparaissent réelles. Conception fausse, dangereuse. Dans ce cas, c’est à soi-même, à son jugement personnel qu’on obéit, non au représentant de Dieu. Conception païenne, venue de ce que le sens de Dieu et de sa transcendance s’est obscurci.

Les méthodes

Il n’est pas inutile de juxtaposer ce texte à celui du cardinal Verdier cité plus haut. Ils se complètent, l’un s’adresse à l’esprit, l’autre indique la méthode. Et en passant, saluons cette dame, directrice sécularisée, auteur de cette circulaire, pour l’adresse qu’elle possède à donner une leçon de « bonne » politique aux adultes au travers d’un exposé sur l’obéissance des enfants. Ainsi on aura discrètement rappelé à ces derniers que le régime républicain est de « conception païenne ».

Il ne faut donc pas s’étonner que toutes les méthodes nouvelles d’éducation et tous les pédagogues révolutionnaires (au sens éducatif) qui relèguent l’obéissance, la soumission, aux oubliettes, trouvent comme ennemi acharné tout ce qui se rattache au cléricalisme.
Il n’est pas inutile de rappeler certains mauvais coups des cléricaux ; puisque beaucoup de ceux qui devraient être avec nous et contre eux paraissent les oublier ou les ignorer.

C’est en 1880 que Paul Robin tenta une expérience d’éducation nouvelle à Cempuis. Pendant quatorze ans, il eut la meute cléricale à ses trousses. La lutte fut atroce. La presse catholique traîna Robin et son école dans la boue. Elle traita cet homme probe de chien, de pourceau ; son école, de porcherie ; sa méthode, de chiennerie. Tout cela, parce qu’il osait instruire ensemble des enfants des deux sexes ; parce qu’au lieu de rester dans sa salle de classe, il préférait promener ses gosses dans la nature et les instruire en les amusant ; parce qu’il refusait de toucher aux problèmes métaphysiques ; parce que les résultats de son expérience commençaient à convaincre d’autres pédagogues. Et c’est le très catholique Guérin, ministre de la Justice, qui signa sa révocation le 31 août 1894 et souleva une tempête de congratulations dans toute la presse cléricale.

Lorsqu’à son tour, cinquante ans plus tard, Freinet voudra innover à Saint-Paul-de-Vence et, comme Robin, fera du prosélytisme pour une école vivante, sans contrainte, sans dogmes, ce sont encore les tenants du cléricalisme qui organiseront la bataille. Ce sont des journaux tels que La Croix et l’Action Française qui entameront la campagne contre lui, sans objectivité, sans scrupules. Campagnes de haine, de mensonge, de vilenies, qui attaquent l’homme et son œuvre. L’homme étant irréprochable, c’est à ses opinions politiques que désespérément on s’accrocha. Comme la victoire ne venait pas assez vite, c’est sur le scandale, sur l’excitation des esprits jusqu’au paroxysme que les cléricaux s’appuyèrent et, en parlant de Freinet, le Bulletin de l’Évêché alla jusqu’à écrire : ...il faut prendre la bête puante à la gorge et la sortir de sa tanière... [6]. C’est la Liberté du Sud-Ouest, dont le directeur était l’abbé Puech (également directeur diocésain) qui ameuta l’opinion contre l’école de Camblance (Gironde), dirigée par Boyau, disciple de Freinet.

Je pourrais ainsi citer mille et mille exemples de cette lutte acharnée, continue, qu’ont menée et continuent de mener clergé et cléricaux contre toute forme d’éducation et tous éducateurs qui, se dégageant des sentiers battus, tentent de faire des futurs hommes qu’ils éduquent autre chose que des robots savants. Et même, lorsqu’un des maillons de l’enseignement catholique se singularise en débordant de son cadre habituel, il échoue. En voici un exemple apporté par l’un des apologistes de Madame Montessori, créatrice de la première « Casa dei Bambini », à Rome. Institut d’expérimentation sis, faute de mieux, dans une école d’un couvent franciscain. L’auteur de cette apologie, malgré sa sympathie pour les soeurs du couvent, ne peut s’empêcher d’écrire :

On peut imaginer, en effet, que l’atmosphère ecclésiastique, faite toute entière d’une obéissance passive à la règle, est loin d’être celle que l’on aurait choisie pour favoriser l’éclosion d’un système qui s’efforce de supprimer tous les dogmes, de provoquer l’indépendance du caractère et le développement de la personnalité. [7]

Mais il me suffira peut-être de faire une autre citation pour situer exactement le rôle et la pensée de l’Église quant à l’enseignement :

Ce qui est vrai du prédicateur est vrai aussi du maître de l’enseignement. Je n’enseigne pas, doit dire en son coeur celui-ci, pour faire des savants, mais pour faire des chrétiens . C’est l’abbé Baboiat, curé de Montréal, du diocèse de Belley, qui écrivait ceci en 1938, dans un Avant-propos pour un Manuel d’enseignement dit Doctrine catholique, portant l’imprimatur, très prisé et très employé dans l’enseignement catholique.

Ainsi, l’aveu est là. L’Église n’a qu’un but en enseignant : faire des chrétiens, des prêtres, des sœurs ; faire des hommes, des femmes passifs, qui croient sans discussion tout ce qui leur est enseigné, qui obéissent « promptement , sans discuter, de leur mieux » à tout ce qui est commandé. C’est la même méthode qui est en pratique dans l’armée : la discipline faisant la force des armées... et c’est certainement une des raisons qui ont fait que le sabre et le goupillon ont toujours fait bon ménage.

Les libres-penseurs, eux, veulent des savants, c’est-à-dire des raisonneurs, des êtres qui cherchent le pourquoi et le comment des choses, qui étudient, réfléchissent, discutent, soupèsent, agissent d’après leur raison, leur conscience, leur jugement. Pour les libres-penseurs, seule la connaissance peut élever l’homme au-dessus de tous les dogmes étroits et sans vie de toutes les religions ; seule la connaissance peut humaniser, pacifier, élever l’être humain, lui donner la sagesse indispensable à son complet développement.

Ce n’est donc pas parce que les libres-penseurs sont intolérants qu’ils rejettent et veulent détruire l’école catholique, c’est parce qu’elle n’est pas l’école de la connaissance, qu’elle ne pourra jamais le devenir et que cela seul suffit à la condamner irrémédiablement.

André Arru


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