L’ÉGLISE ET L’ENSEIGNEMENT
1ère partie : 1 – L’ ÉGLISE ET LES PARTIS CLERICAUX
Article mis en ligne le 20 octobre 2010

1 – L’ ÉGLISE ET LES PARTIS CLÉRICAUX

Pour le plus grand nombre, la bataille pour l’ École qui oppose une fois de plus la fraction cléricale à la fraction anticléricale, est un fait nouveau. Sauf le militant catholique et le militant athée (le premier hélas ! beaucoup plus remuant et plus aidé que le second), les autres considéraient cette question comme classée depuis longtemps. Il n’était même plus rare de voir dans les partis de gauche, dans les syndicats, dans des organisations à buts philosophiques ou sociaux des hommes sourire lorsque l’un de nous tentait d’agiter le grelot de l’anticléricalisme et de leur ouvrir les yeux sur les agissements de l’Église. Le sourire de ces mêmes personnes qui nous accusaient d’être vieux jeu se transforme en grimace. La victoire cléricale les blesse et ils comprennent, peut-être, mais un peu tard, que l’Église ne considère pas et ne considèrera jamais la question religieuse comme résolue, tout au moins tant qu’elle n’aura pas asservi à sa foi tous les habitants de notre planète.

La France, récemment encore un des bastions de l’anticléricalisme, la France de Diderot, de Jean-Jacques, des Encyclopédistes, de Voltaire, de Littré, de Zola, la France athée qui faisait dire à Louis Devallon dans l’Aube Nouvelle de mai 1929 :

Par malheur, les athées de fait sont innombrables dans la France d’aujourd’hui. Les légendes ont la vie dure : nous espérons cependant qu’on en a fini avec celle qui représentait notre pays comme un groupe de 40 millions de catholiques tyrannisés par une poignée de juifs et de francs-maçons. La France est une nation qui compte plus de vingt millions d’athées pratiques ; telle est la vérité, brutale, mais saine, toute la vérité. Cette France-là est en train de passer aux mains des Jésuites et de redevenir la fille aînée de l’Église.

Il ne fallait pourtant pas être devin pour prévoir le résultat actuel des manœuvres de l’Église, il fallait simplement se pénétrer de sa capacité de lutte, de son acharnement à regagner le terrain perdu. Léon Gambetta ne s’y trompait pas lorsque virulent il jetait le cri de guerre : Le cléricalisme, voilà l’ennemi et Sébastien Faure, il y a déjà longtemps, en faisait un tableau précis : Les cléricaux font usage, le cœur léger et la conscience sereine, des agissements les plus indélicats, des procédés les plus criminels, des manœuvres les plus perfides, des crimes les plus abominables. Un autre trait par lequel se distinguent les cléricaux, c’est la persévérance, l’obstination, l’opiniâtreté, la constance étonnante avec laquelle, quelles que soient les difficultés, ils poursuivent les fins qu’ils ont assignées à leurs efforts. Ont-ils le vent en poupe ? ils y marchent à toutes voiles ; s’ils ont vent contraire, ils louvoient, courent des bordées, disparaissent même un instant à l’horizon pour reparaître tout à coup, le cap toujours mis sur le but à atteindre. [1]

Dans les faits, nous allons trouver confirmation de ces dires :
De 1880 à 1904, l’Église avait perdu des positions stratégiques importantes quant à la diffusion de son enseignement, mais depuis, sans cesse, elle a regagné le terrain perdu. Les étapes de cette nouvelle ascension sont toutes marquées par des époques troubles : guerre de 1914, guerre de 1939, occupation, périodes nationales et internationales agitées et critiques. A chacun de ces tournants de l’histoire, « vent en poupe », l’Internationale Noire marque des points et enlève ou contourne une barricade dressée dans le temps par ses ennemis, entre temps elle louvoie.

Ce qu’il y a de remarquable dans chacun des marchandages et des compromissions des partis cléricaux et des hommes d’Église, c’est qu’invariablement le Vatican en tire toujours profit.

Le M.R.P. vient d’en donner une preuve éclatante : pendant cinq ans il s’est compromis avec radicaux, socialistes, communistes, francs-maçons, mais il ramène aujourd’hui dans le giron maternel un butin appréciable, gage de sa fidélité. Indiscutablement les chefs des partis anticléricaux se sont faits rouler et ont joué franc-jeu, mais parce que la politique de l’Église est cohésive et cohérente, même lorsqu’elle joue sur plusieurs tableaux, même lorsque Dominicains et Jésuites prennent des directions opposées, même lorsqu’il y a des luttes intestines dans les chapelles du catholicisme, chaque gain moral ou matériel, de quelque fraction cléricale qu’il provienne, de quelque procédé qu’il émane, est utilisé par l’Église à son profit.

Examinons rapidement les étapes qui ont amené en France l’Église, dessaisie en 1904 de ses prérogatives enseignantes, à être reconnue, subventionnée par l’État en 1951.

De 1880 à 1904, les partis anticléricaux de l’époque remportaient victoire sur victoire contre les cléricaux. La loi du 7 juillet 1904 qui interdisait à toute congrégation le droit d’enseigner et qui, aux congrégations exclusivement enseignantes, donnait dix ans pour disparaître, fut, hélas, la dernière tentative de la gauche pour débarrasser la nation de la domination cléricale.

Depuis, la gauche s’endormit sur ses lauriers et pour des nécessités de basse politique ou d’union sacrée dans la haine, annula, amputa cette loi et les précédentes et endormit le peuple dans une confiance ignorante et aveugle.

Dès avant la promulgation de la loi de 1904, l’Église avait paré le coup. Déjà le 22 août 1902 paraissait la déclaration de la Ligue de la Liberté de l’Enseignement. Les écoles catholiques disparurent et revinrent vite en surface en s’affublant du nom d’Écoles Libres. Les membres des congrégations, moines, pères, frères, mères, sœurs, qui se consacraient à l’enseignement et qui n’avaient plus le droit d’enseigner en costume religieux reçurent l’autorisation papale de s’habiller en laïcs ; ce fut la grande époque de la sécularisation. Simple camouflage destiné à tromper les pouvoirs publics puisque ces mêmes religieux, devenus laïcs, revenaient tout les ans faire retraite en leurs couvents pendant les grandes vacances, réendossaient leurs anciens costumes, et recevaient les instructions des autorités ecclésiastiques.

De 1904 au Front populaire

La loi de 1904 donnait dix ans aux congrégations enseignantes pour disparaître,les cléricaux durent se réjouir, dix ans de manœuvres, c’était la quasi certitude pour une puissance comme l’Église de regagner le terrain perdu. Elle faillit pourtant perdre la partie, mais 1914 vint et la guerre avec, les cléricaux ne laissèrent pas passer une si belle occasion et dès le début de la guerre un décret Malvy suspend l’application de la loi du 7 juillet 1904. Ce décret ne fut jamais rapporté par la suite. L’initiative est à présent à l’Église et elle poursuit son offensive. Lors du retour à la France des trois départements reconquis à l’Allemagne, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle, les cléricaux exigent le statu quo d’avant 1870, c’est-à-dire que pour ces trois départements toutes leurs écoles restent confessionnelles et que le clergé reste rétribué par l’État. Un peu plus tard Poincaré donnera l’autorisation d’ouvrir en France de nouvelles écoles confessionnelles. Herriot en 1924 veut faire rentrer les trois départements reconquis dans le régime commun, il n’y parvient pas. L’Église est déjà assez forte pour le lui interdire. En 1928 Poincaré propose le retour des biens séquestrés, mais les partis de gauche ruent dans les brancards, la proposition ne passe pas. Tardieu à son tour renouvellera l’initiative Poincaré, il l ‘emportera à la Chambre mais sera battu au Sénat.

L’Église alors « tirera des bordées », tendra ses filets. Les associations en faveur de l’Enseignement Libre se multiplieront, on en comptera une dizaine en 1937. En 1936 les cléricaux créeront la Ligue de l’Éducation Française sous le haut patronage de Doumergue, Pétain, Weygand. Au sein de l’enseignement laïque ils ont déjà formé une secte : les Davidés. L’Église grignotera, noyautera, s’infiltrera, s’insinuera. En Vendée, Deux-Sèvres, Maine-et-Loire, en Bretagne, en Normandie, elle exigera, commandera, ordonnera, ailleurs elle luttera sous des aspects de loyauté, ailleurs encore, elle suppliera, quémandera, argumentera, se fera petite, insignifiante. L’Église prépare son avenir.

De 1936 à la Loi Barangé

Blum arrive au pouvoir, le Front Populaire règne, les cléricaux crèvent de peur, les moines et sœurs sont à nouveau prêts à fuir. Blum peut d’une chiquenaude, dans l’enthousiasme de la victoire ouvrière, reconquérir le terrain perdu depuis 1904, donner une vigueur nouvelle à l’anticléricalisme, l’amplifier, le compléter, l’étayer, le peuple est derrière lui. Blum hésite, discutaille, veut s’entendre, à un interview de l’organe hebdomadaire des Dominicains SEPT le 19 février 1937, il répond :

Vous me demandez si je crois possible une collaboration entre les catholiques français et le gouvernement de Front Populaire ? Assurément, je la crois possible.
Pourquoi ne le serait-elle pas ? Pourquoi les idées sur lesquelles s’est fondé le Rassemblement populaire, c’est-à-dire la foi dans la liberté démocratique, dans la justice sociale, dans la paix humaine, ne pourrait-elle coexister à l’intérieur d’une même conscience d’homme, avec la foi catholique ?
... Je n’ hésite donc pas à répondre : je crois la collaboration possible..
.

Blum avec son humanisme et Thorez avec sa fameuse main tendue, ont voulu, je crois, jouer au plus coquin avec l’Église. Ils ont eu tort, il est très difficile d’être plus habile qu’un jésuite dans le maquignonnage. Ce dernier mot n’est que le synonyme atténué du mot Jésuitisme, dont la valeur internationale est due à un état d’esprit volontairement acquis au sein de cette congrégation religieuse.
Les cléricaux alors, reprennent leur sang-froid, l’Église taille des croupières à la Révolution Espagnole, les enfants des écoles libres de France font des prières pour que la France écrase les rouges. Le tour est joué, malgré le Front Populaire, malgré Blum, malgré Thorez, au nez et à la barbe du peuple anticlérical fêtant la victoire, c’est l’Église qui a encore gagné

1939, c’est à nouveau la guerre. Avec Pétain l’offensive du Vatican devient foudroyante. Si les anticléricaux avaient mis plus de cent ans (1789-1904) pour priver l’Église de quelques biens et de quelques privilèges, en quelques mois celle-ci sut reconquérir le tout.

Notons le principal : subvention aux écoles libres, retour des congrégations chassées, remise de certains biens confisqués, bourses aux enfants fréquentant l’école confessionnelle. Mais les avantages furent poussés plus loin et l’on fonça sur l’ennemi : l’école laïque. Voici quelques exemples : interdiction de certains livres scolaires d’auteurs laïques (une vingtaine), écrasement de l’École Normale, instruction religieuse introduite sournoisement au sein même de l’école laïque, révocation d’un bon nombre d’instituteurs connus comme anticléricaux, renforcement de la secte des Davidés.

Mais au fur et à mesure que la victoire alliée s’affirmait, le Vatican, sans lâcher Pétain, entourait des prévenances de ses hommes de Gaulle, qui s’affublait déjà d’une croix doublement soulignée. Le journal La Croix soutenait Pétain dans toutes ses colonnes, cardinaux, archevêques, évêques le bénissaient et disaient ses louanges. En même temps de Gaulle voyait venir à lui les démocrates chrétiens et autres suppôts de confessionnal. La résistance voyait des prêtres lutter avec eux. Au nom de cette nouvelle union sacrée, radicaux, socialistes, communistes, s’abstenaient de toute lutte anticléricale.

La Libération venue, le gouvernement de la résistance (de Gaulle à Thorez) mit 18 mois pour supprimer aux écoles libres les subventions accordées par Pétain. Mais les congrégations introduites par Pétain restaient, mais les écoles catholiques créées sous Pétain restaient, mais le journal La Croix qui parut pendant toute l’occupation ne fut suspendu que quelques semaines, mais les hommes de l’Église étaient de nouveau au gouvernement comme sous Pétain.

Il ne fallait pas être grand clerc pour se douter que les cléricaux, pour livrer un nouvel assaut, choisiraient une période critique. Depuis la guerre, la situation internationale est de plus en plus tendue, la haute bourgeoisie internationale ne peut se priver d’une puissance aussi grande que celle que représente l’internationale noire. Pour cette dernière, c’est une époque rêvée pour les manœuvres, les marchandages, les « Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné ». De Mun avait bien raison lorsqu’en 1887, devant une réunion de la Jeunesse Catholique, il disait ces paroles prophétiques :

« C’est une œuvre de lutte que vous commencez...C’est le combat qui s’engage, la lutte solennelle qui vous est préparée quand vous allez franchir ce seuil... Et pourquoi donc auriez-vous peur ? Est-ce que l’histoire de ce siècle n’est pas une continuelle revanche de l’Eglise sur la Révolution ?  »

L’Inquisition reprend ses droits ; déjà l’Espagne, le Portugal, le Canada, l’Italie subissent en plein le joug de l’Église. Déjà, plus d’un million d’enfants, sans compter ceux des peuples colonisés, reçoivent en France l’enseignement de l’Église. Aujourd’hui, grâce aux subventions et grâce à l’incurie des gouvernements de la laïque France qui ont préféré la reconstruction des églises aux reconstructions des locaux scolaires, c’est presque la moitié d’une génération de ce peuple aux vingt millions d’athées, qui va recevoir une éducation faite de croyances stupides, de régression, de superstition, de passivité et de résignation. Car malheureusement, l’Église catholique ne s’ingénie pas seulement à faire partager sa foi, mais à éloigner de tous les cerveaux ce qui pourrait la leur faire perdre. Je vais le démontrer.

André Arru


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