Extraits de correspondances
Aristide Lapeyre/André Arru (2)
Article mis en ligne le 5 janvier 2011
dernière modification le 2 janvier 2011

par SKS

André Arru, le 7 octobre 1954, à Aristide Lapeyre :

André Arru et Aristide Lapeyre sur la Canebière (Marseille)

Mon cher Ami,

J’ai bien reçu la copie du Mémo de Kronstadt et t’en remercie, il m’est très utile parce que je le passe de mains en mains. Je connaissais déjà l’affaire, ayant eu René et Marcelle pendant quelques jours ici au mois d’août, et dès que tu as retourné l’original ils me l’avaient envoyé. J’étais fortement intéressé du fait que nous avions ici un membre de l’OPB. J’ai donc aussitôt organisé une réunion au groupe convoquant tous les camarades intéressés y compris les 4 membres de l’ex groupe FA 4 ; dont 3 n’avaient jamais été mis au courant ni pendant ni après la démission de Bader de cette conjuration, et ce, malgré leur intimité avec lui.

Bader savait bien de quoi il s’agissait lorsqu’il est venu à la réunion, mais il ne croyait pas, cela se voyait, que nous étions si sérieusement documentés. Il pensait donc, car il avait certainement préparé sa défense, nous faire avaler le truc comme une question bien bénigne, sans importance, manquant sans doute d’arguments il se servit du prévu soit « C’était en 1950 une époque troublée, dangers de guerre, les anarchistes comme toujours pas préparés, à quelques-uns nous voulions prévoir, soit une action, soit une préservation... ainsi à quelques-uns nous nous sommes concertés et avons mis sur pied cette organisation, affinitaire en somme, c’était bien notre droit... Au début les buts étaient avouables, depuis 1952 (congrès de Bordeaux) j’ai démissionné tant de la F.A. que de l’OPB... je ne sais pas ce que c’est devenu depuis ; ressortir cela à présent c’est ridicule... etc. » Tout ceci assaisonné de déformations du passé, que j’ai redressé à chaque fois avec minutie, ayant de temps en temps une très bonne mémoire... Mais cette fois les copains ne se sont pas laissés prendre, même ceux bien disposés en sa faveur et il s’est nettement enterré par sa défense maladroite. Il laissa toutes les questions posées sans réponse surtout celles qui demandaient : « Mais pourquoi pour quelque chose de si normal le secret absolu ? les cotisations importantes ? les menaces de destruction physique ? »

Le délicat était la conclusion, je ne voulais pas que le groupe tombe dans la mise à l’index, et je me suis arrangé pour que Bader se sente de trop en fin de réunion et qu’il nous quitte de lui-même ; c’est ce qu’il a fait accompagné de son « fils spirituel » Guy, qui représentait le groupe FA 4 au congrès de Bordeaux. Et je crois bien que Bader n’aura plus l’intention de nous fréquenter. Il faut te dire que la découverte est venue à temps parce qu’il avait l’intention de remonter de qu’il appelait pompeusement son École du Militant Révolutionnaire et s’en était déjà ouvert à plusieurs copains.

J’ai tenu à te raconter tout cela en détail, ainsi tu peux te rendre compte que ton travail n’était pas inutile. Nous passerons très certainement un communiqué sur le Bulletin intérieur à ce sujet.
Nous avons reçu aussi le MONDE LIBERTAIRE et je pense que tu dois être content de cette sortie qui est le résultat de tout le travail que tu t’es donné.

Je n’ai pas encore l’opinion des copains, puisqu’il n’a été distribué que lundi dernier à l’occasion de la réunion en question. Personnellement je le trouve bien : bonne présentation, bon format, quelques bons articles. Il manque de virulence, d’indignation, de griffe – à bon escient s’entend -. Je sais que c’est très difficile une bonne plume qui accroche sans tomber dans le ridicule ou les rodomontades. Le pamphlet est certainement ce qui demande le plus de talent, mais indiscutablement c’est un peu ce que notre public attend de nous, et ne pas le lui donner est le décevoir... enfin peut-être plus tard...

Je pense qu’à la faveur de cette parution et de l’affaire OPB, le groupe de Marseille va prendre un peu plus de consistance. En tout cas dès à présent nous nous occupons de recruter des abonnés et des souscriptions, et de la vente dans deux ou trois kiosques de Marseille.
A part cela tout va bien pour nous, le travail marche normalement, je commence à y mettre un frein, la maison s’arrange, le jardin aussi, la santé est bonne et au fond je ne peux arriver à croire que tout cela va durer... mais j’en profite sans trop penser à mon avenir, il sera surtout ce que les événements et les circonstances le feront. Je suis plus inquiet sur l’aventure humaine en général et ce qui m’est assez dur c’est de sentir qu’il n’est guère possible de faire quelque chose de « visible », de palpablement utile pour l’humain. Travailler toujours dans l’inconnu est pénible surtout lorsque le connu est décevant... et pourtant que faire de mieux dans sa propre existence que tenter de sortir l’humain de sa boue, quelle occupation peut être plus passionnante ? A moins d’en finir, mais pour cela il faut une raison valable (pour soi). A ce propos Jacob, quelle orgueilleuse et magnifique fin...

AA