Courte biographie (1ère partie)
Article mis en ligne le 6 septembre 2011
dernière modification le 12 janvier 2020

par SKS

Ce texte constitua une première biographie qui parut dans ( ) La Libre Pensée Autonome des Bouches-du-Rhône en avril 2003, sous le titre

"André ARRU, un individualiste solidaire."

On pourra, bien évidemment, compléter cette lecture par celle du livre éponyme : Jean-René Saulière dit André Arru, un individualiste solidaire (1911-1999) [1]

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La vie de Jean-René SAULIERE, dit André ARRU, est marquée par divers événements qui vont orienter le cours de son existence et structurer son mode de pensée et d’action.

Premier fait marquant, sans aucun doute, et lui-même en parlait souvent, la mort de son père à la guerre, en 1916, et l’abandon progressif par sa mère qui l’avait confié aux grands parents.

Second tournant : l’écoute de conférences données par Sébastien Faure.

Troisième moment décisif : à l’annonce de la guerre en 1939, le refus d’y participer, l’insoumission et la clandestinité.

Enfin, le dernier geste par lequel il a posé, à sa façon à la fois passionnée et réfléchie, sa position d’individu vis-à-vis de la société, fut son départ volontaire le 2 janvier 1999.

Jean René SAULIÈRE naît à Bordeaux le 6 septembre 1911.
En 1914, sa mère s’installe à Paris pour se rapprocher de son mari, mobilisé, et confie Jean-René aux grands-parents maternels. Son père « fut désigné comme agent de liaison et tué à sa première sortie » [2] le 30 mai 1916.

Il a six ans lorsque sa mère décide de le prendre avec elle à Paris. Cela dure quelques mois, puis elle le ramène à Bordeaux. Nouvelle expérience à l’âge de neuf ans, le temps d’une année scolaire, et nouveau retour à Bordeaux. « Ma mère m’avait déposé et était vite repartie ; c’est moi qui en subissais le contrecoup. J’en étais malheureux car je ne me sentais nullement responsable.  » [3] A partir de ce moment, sa mère espace les contacts, pour ne plus donner de nouvelles pendant de nombreuses années, en fait jusqu’à ce que son fils atteigne l’âge adulte.

Une jeunesse difficile...

Entre le petit-fils et sa grand-mère, qui lui reproche d’avoir à l’élever, les relations se dégradent, les querelles se multiplient. Jean-René se montre déjà rebelle, et blessé par le rejet de la grand-mère comme par l’abandon de sa mère.

Il commence à travailler à treize ans, et prend son indépendance deux ans plus tard, après une grave dispute avec ses grands-parents.
A dix-sept ans, lors d’une période de chômage, sans argent pour se nourrir et pour payer le loyer de sa chambre, il envisage de s’engager. Un gradé le dissuade de se décider le jour même, lui demandant de réfléchir. Il ne reviendra pas.

Après avoir été employé de bureau, il trouve un travail de représentant. Activité professionnelle qu’il poursuivra jusqu’à sa retraite, avec quelques interruptions liées à la clandestinité, puis à la réalisation d’un vieux rêve : devenir libraire.

A vingt-et-un ans, il part faire son service militaire « avec des idées carrément antimilitaristes » [4], il est affecté dans un Groupe Ouvrier d’Aviation à Cazaux. « J’ai de la chance : 11 mois de présence …peu de discipline… J’ai beaucoup lu dans mon baraquement.  » [5].

Révélations

De retour à la vie civile, il discute beaucoup et défend le communisme tel qu’il le ressent. Mais ne répond pas à l’invitation d’entrer au parti. « J’ignore totalement les théories idéologiques » [6]. En 1933, il assiste à une conférence de Sébastien Faure. Selon ses propres termes, « … c’est une révélation » [7]. De cette expérience capitale découlent de multiples rencontres, de nombreuses lectures. « Mon tempérament ne me permettait pas de vivre en témoin la lutte sociale. Au bout d’un an et demi d’études et de débats je suis convaincu… Je fréquente le groupe de Bordeaux animé par Aristide et Paul Lapeyre et je commence à militer » [8]. L’affaire des « Stérilisés de Bordeaux » éclate et fait grand bruit dans toute la France. « L’ignorance et la bêtise des juges et des journalistes firent beaucoup pour attiser mon militantisme. Cela m’amena aussi à me faire opérer par Bartoseck dès qu’il fut sorti de prison » [9].

Durant les années 1938 et 1939, une intense activité l’amène à s’occuper des Jeunesses Libertaires, de S.I.A. [10], de l’aide aux camarades anars dans leur lutte en Espagne, puis du soutien apporté à leur évasion des camps de concentration français. Il est nommé, avec Laurent Lapeyre, secrétaire du groupe.

C’est aussi en 1939 que Jean-René rédige, après en avoir fait le sujet d’une de ses premières expériences d’orateur, une brochure sur un auteur et une œuvre d’importance majeure pour sa vie et sa pensée : « L’Unique et sa Propriété » de Max Stirner [11].

Dire non en 1939

Mais revenons un an en arrière : « En 1938 nous sommes une bonne douzaine du groupe décidés à ne pas répondre à l’ordre de mobilisation en cas de guerre. En 39, lors de la mobilisation, nous nous retrouvons deux. Trois jours après je suis tout seul. Mon copain est parti voir sa femme et par voie de conséquence rejoindre son régiment. Tant pis pour lui, tant mieux pour moi, on se débrouille toujours mieux tout seul  » [12].
Cette période a fait l’objet de témoignages détaillés parus dans les Bulletins du C.I.R.A. [13]

Essayons cependant d’en retracer brièvement les grandes lignes :

Après s’être caché à Bordeaux pendant quelques semaines, Jean-René décide de partir, sous une fausse identité. Un camarade réformé lui fournit un livret militaire, et c’est avec ce seul document, sous le nom d’André ARRU, qu’il vient se fixer à Marseille. Il trouve une gérance de station d’essence qu’il transforme en réparation de cycles quand le carburant vient à manquer. Métier qu’il apprend par la pratique.

Son atelier du quartier Saint-Loup héberge aussi les réunions du groupe anarchiste clandestin qu’il a réussi à former, composé, outre de Voline, qui vivait alors à Marseille, de camarades venus de divers coins d’Europe comme de France, mais tous ayant dû fuir un régime de dictature. Fabriquant de faux papiers, il vient en aide aux pourchassés mais aussi fait paraître des tracts, des affiches, une brochure (« Les Coupables ») affirmant les points de vue libertaires alors qu’à cette époque s’opposent, face au régime de Vichy et aux occupants nazis, gaullistes et communistes. Cette indépendance vaudra à André et à son ami Chauvet d’être laissés dans les murs de la prison Chave où ils étaient détenus après leur arrestation pour « activité extrémiste » lors d’une évasion organisée par des résistants communistes « parce qu’ils n’étaient pas des patriotes » [14]. Ils seront de la deuxième évasion qui les libérera de la prison d’Aix.

Jean-René Saulière, alias André Arru, va séjourner à Toulouse, où vivent des amis très proches ; sous une nouvelle identité, il y trouve un logement, du travail, et continue d’œuvrer pour les idées libertaires. Entre 1944 et 1945, il est le représentant national de SIA [15], et secrétaire du groupe anarchiste.
Il revient à Marseille en 1945, et reprend la réparation de cycles.

En 1947, à l’issue d’un procès du Tribunal Militaire, jugé pour son insoumission, il est acquitté en raison de son aide aux personnes pourchassées, et reprend son identité. Il sera de nouveau, pour son activité professionnelle, Jean-René Saulière, mais gardera, dans son engagement de militant, son nom de clandestinité, André ARRU.

« La Boîte à Bouquins »

Après avoir monté une petite affaire de reprographie, avec les moyens techniques de l’époque, André revient à la représentation. Autre parenthèse professionnelle : de 1956 à 1959, il tient une librairie « La Boîte à Bouquins ». Expérience décevante, les contingences commerciales pesant trop lourdement sur le projet de diffusion et d’échange d’idées et de culture. En fait, le métier de représentant, multicartes de surcroît, lui permettait d’organiser son travail et d’aménager des plages de temps pour son activité militante.

Dans ce domaine précisément, après quelques années de participation active au mouvement libertaire, sur le plan local comme lors des congrès nationaux, André peu à peu se retire. Il avait contribué à la reconstitution de la Fédération Anarchiste après l’affaire Fontenis.

Mais son regard de témoin l’amenait à s’exprimer ainsi :
« L’anarchie est faite pour des individus et non des foules. Or, par suite de fâcheuses circonstances, l’anarchiste asocial de la fin du 19ème, genre philosophe (Stirner), réaliste(Jacob) ou héroïque (Vaillant) s’est transformé en velléitaire anarchiste qui frémit de passions, chez lui au coin du feu, en pantoufles, lorsqu’il raconte ou lit les exploits de ses aïeux spirituels. Et l’anarchiste social représenté alors par des Bakounine, Reclus, Pelloutier et autres, est resté enlisé dans ses contradictions et ses rêves impossibles. Au fond l’anarchiste s’est fait posséder par « le social ». Il a voulu répondre à la question si souvent formulée : vous êtes pour quoi ? Alors il a expliqué sa société future…  » [16].

« Éjecté par l’équipe de Fontenis et par le groupe de Marseille, je cherchais à militer et créai l’Union Pacifiste de Provence, reprise sur le plan national par Lecoin… » [17]

Sylvie KNOERR-SAULIERE

Suite de cette biographie :


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