Texte paru sous forme d’un « quatre-pages » à l’en-tête de l’Union Pacifiste des Bouches du Rhône en Avril 1994.
"FAUT – IL FAIRE LA GUERRE POUR AVOIR LA PAIX ?"
Article mis en ligne le 11 octobre 2011

"L’ IMBROGLIO YOUGOSLAVIE" parut sous forme d’un « quatre-pages » à l’en-tête de l’Union Pacifiste des Bouches-du-Rhône en Avril 1994.

André Arru en était le principal rédacteur.

L’ IMBROGLIO YOUGOSLAVIE

Il a fallu des années de discussion et quatre traités (Versailles, Saint-Germain en Laye, Trianon et Rapalo) pour reconstruire le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes après que les Allemands durent partir en 1918. Avant 1918 les Balkans étaient un foyer de révoltes et de guerres. Le Roi Pierre 1er fut intronisé Roi des Serbes en 1903. Il devint le champion de la libération des Slaves du Sud. Après bien des luttes meurtrières, l’Autriche-Hongrie occupant la Bosnie Herzégovine l’annexa en 1908 ; ce qui amena en 1914 Princip, un jeune Serbe, à supprimer l’Archiduc héritier François Ferdinand et sa femme à Sarajevo.

Le traité de Versailles tenta à son tour de regrouper les Slaves du Sud dans un Etat comprenant Serbie, Croatie, Monténégro, Macédoine, Bosnie Herzégovine, Dalmatie et quelques autres populations de moindre importance numérique.

Les difficultés ne manquaient pas. D’abord les religions dont les fidèles s’étaient souvent affrontées dans des conditions de cruauté extrême. Lors de l’occupation de la Bosnie Herzégovine par les Autrichiens, André Barre écrivait ceci : L’Autriche guette le triomphe de sa politique, car pour elle être catholique c’est déjà être Autrichien. L’orthodoxie morte en Bosnie Herzégovine c’est la fin de l’idée serbe, c’est la soumission consentie, la sécurité assurée aux armes de l’Autriche. La désorganisation de l’Eglise serbe sous toutes ses formes, la poursuite acharnée des privilèges ecclésiastiques, la mainmise sur les popes comme sur les temples, une extermination politique qui se dissimule sous une conversion religieuse où le glaive joue plus de rôles que la croix, tel est en définitive le véritable aspect de cette lutte religieuse que l’Autriche a entamée dès son occupation et qu’elle complète sur d’autres points par d’autres exactions, avec cette âpreté cynique. ... [1]. On peut y ajouter ceci, écrit par le comte Saint-Aulaire, ancien ambassadeur de France à Vienne : « ... la haine et le mépris des Serbes étaient à Vienne dans les milieux officiels, un nouveau commandement de Dieu, le plus obéi de tous.

Une mosaïque de religions, de langues, de nationalités

Il faut savoir qu’autour de 1900 la Bosnie Herzégovine comprenait : 673 246 orthodoxes, 548 632 musulmans, 334 142 catholiques et 8 213 juifs. Il ne faut pas oublier non plus le choix de la langue officielle où six langues étaient employées couramment. Alexandre Karageorgevitch fut nommé régent par son père Pierre 1er ; en 1914 il se rangea dans le camp allié. Il prit le titre de Roi en 1921 et fit une monarchie héréditaire et autoritaire. Les difficultés provoquées par les revendications nationales et religieuses l’amenèrent à instituer la dictature en 1929, ce qui n’a pas arrangé les choses, bien au contraire.

Les désordres, les ambitions, les oppositions, se firent jour, les complots s’ourdirent. Le 8 octobre 1929 le royaume prend le nom de Yougoslavie avec l’espoir que l’organisation du pays qui va s’en suivre déclenchera un sentiment de confraternité entre toutes ces populations issues d’une même ethnie. Hélas les luttes internes sont aussi alimentées par les nations voisines. La violence règne, le terrorisme prend de l’ampleur. Telle l’Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédonienne (O.R.I.M.) dont le siège est à Sofia, qui proteste contre le traité de Neuilly. Serbes, Croates, Monténégrins, Macédoniens s’entre-tuent. Un député du Monténégro est assassiné en pleine séance parlementaire. Le Monténégro et la Croatie « demandent » leur autonomie. La confusion règne au pouvoir. Au cours de ces années de chambardement, trois dissolutions des chambres ne changent rien à la situation. Aux dires d’Albert Londres qui fait un reportage dans les Balkans, nous sommes en 1931 : Là où ils imposent leur loi, les Serbes imposent leur langue, ce qui met les Macédoniens dans une grande colère... ils protestent contre cette dénationalisation... et revendiquent au nom du droit des minorités à faire respecter leur identité nationale... ; il ajoute ... ni les Serbes, ni les Macédoniens ne cèderont, alors ils s’entretuent.  [2] Il dit encore ... que les Balkans sont assis sur un tonneau de poudre prêt à exploser (la solution serait) la création d’une fédération de tous les Slaves du Sud. Mais Stamboulsky, un dirigeant bulgare, a été assassiné pour avoir propagé cette idée.

Pendant ce temps en Croatie, un nouveau parti ultranationaliste est né, le but est de prendre le pouvoir, un des moyens : assassiner Alexandre. Ante Pavelitch est le chef des « Oustachis ». Il prend contact avec l’O.R.I.M. qui va le présenter à Mussolini, lequel convoite des territoires yougoslaves. Quoiqu’ expulsé de Yougoslavie, Ante Pavelitch organise l’assassinat d’Alexandre 1er qui vient de faire entrer son pays dans la « Petite Entente » dans l’espoir de préserver la Paix dont son pays aurait bien besoin. Dans le même esprit il doit rendre visite à la France.

Lors de cette visite Alexandre 1er et Louis Barthou furent assassinés à Marseille en 1934. Ante Pavelitch, l’organisateur du complot, réussit à s’enfuir, trouve refuge en Allemagne, puis à Vienne, puis en Italie où Mussolini refusa de le livrer à la justice française. Les trois complices condamnés à la prison à vie furent libérés par les Allemands en 1940.

C’est le fils d’Alexandre 1er qui lui succéda et prit le nom de Pierre II en 1941.
C’est aussi en 1941 que les troupes d’Hitler entrèrent en Yougoslavie. Au moment où la Yougoslavie allait se rallier au camp allié, Hitler la fit envahir, puis la démembra. La résistance s’organisa. Elle avait à sa tête le colonel Mihaijlovic et Tito. Dès 1941 fut proclamé « l’Etat Indépendant de Croatie », Ante Pavelitch étant le chef du gouvernement.

Hitler et Mussolini lui octroyèrent tout ou partie de la Dalmatie, la Slavonie, et la Bosnie Herzégovine. Ce nouvel Etat constitué, le Ministre de l’Intérieur Arturovitch fait placarder l’affiche suivante : Tous les Serbes et Juifs, citoyens de Zagreb, capitale de la Croatie, doivent abandonner la ville dans les douze heures. Tout citoyen convaincu de leur avoir donné refuge sera exécuté sur le champ. Au fur et à mesure de l’instauration du nouveau pouvoir, la ségrégation s’amplifie. Dans les lieux publics on trouve les avis suivants : «  Entrée interdite aux Serbes, aux Juifs, aux nomades et aux chiens  ». Les Orthodoxes doivent porter sur la manche la lettre P, les Juifs l’Etoile de David.

Les massacres ont commencé dès l’entrée des Allemands en Yougoslavie. En Serbie, dans les villes de Kragujevac et de Kraljevo les 21 et 22 octobre 1941, furent exécutés plusieurs milliers de civils dont quelques centaines de lycéens. Le 28 avril 1941, en pleine nuit, quelques centaines d’Oustachis encerclent les villages serbes de Gudovac, Tuke, Bresovac, Klokocevac et Bolac dans le district de Bjelovar. Ils arrêtent deux cent cinquante paysans dont le pope Bozin et l’instituteur Stevan. On leur fait creuser leurs tombes puis on leur lie les mains dans le dos et on les précipite dans le fossé profond qu’ils viennent de creuser afin de les enterrer vivants.
Les gens sont souvent torturés, pendus, crucifiés, entassés dans leur église où on met le feu, etc.etc.

Gravure de Frans Masereel

Une longue tradition de haines et de massacres

Dominique Auclère, envoyée spéciale du Figaro, révélait à ses lecteurs ce qu’elle avait appris de son enquête en Croatie : Et de fait il n’est qu’à aller à Zagreb, en Croatie, ou à Sarajevo en Bosnie, pour entendre conter les plus horrifiques et sanguinaires histoires de massacres . Personne ne peut oublier que les Oustachis d’Ante Pavelitch organisèrent, avec l’appui bienveillant de Hitler, un bain de sang dont furent victimes les Orthodoxes, les Musulmans et les Israélites. Croisade démente de l’Antechrist, contre laquelle les prêtres catholiques demeurèrent impuissants, certains en raison de leur fanatisme médiéval, certains parce que les évènements furent plus forts que leur volonté. Cette collaboration passive ou réelle a contribué à discréditer le clergé catholique en Yougoslavie. Les procès contre les prêtres sont demeurés à l’ordre du jour. La « collaboration » constitue un crime que l’on évoque encore pour arrêter les ecclésiastiques, les jeter en prison, ou les juger et les condamner. (Le Figaro, 17 février 1950).

Gaston Coblentz, américain, s’exprime dans ces termes : Les Croates pronazis enfermaient les Serbes dans leurs églises, leur enlevaient leurs vêtements, et après leur avoir pris tout ce qu’ils avaient, ils mettaient le feu aux églises. Ils battaient les Serbes comme du bétail et jetaient leurs cadavres dans la Save dont les eaux boueuses les portaient vers Belgrade. (New York Herald Tribune, 19 septembre 1950).

La résistance s’organise : d’une part le colonel Mihaijlovic représentant la monarchie et la politique de droite, d’autre part Josip Broz dit Tito, militant du Parti Communiste Yougoslave depuis 1923.
Mihaijlovic organisa des groupes de résistance contre les Allemands mais aussi contre la résistance communiste. Après avoir été nommé Ministre de la Guerre par le gouvernement yougoslave de Londres, il fut relevé de ses fonctions et remplacé officiellement par Tito. En 1946, il fut condamné à mort et fusillé. Lors de la libération de la Yougoslavie, Tito devint président du conseil et Ministre de la Défense de la République Fédérative de la Yougoslavie. La Fédération comprenait six républiques : Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie, Slovénie.

Avec le Parti Communiste il procéda à des nationalisations, à des réformes agraires, il accorda l’autonomie en matière de langues. En 1948 il refusa de se plier aux « demandes » de Staline, ce qui provoqua la rupture avec l’URSS. Il chercha l’entente avec les pays voisins et collabora dans le même esprit d’indépendance.

On peut dire que Tito, avec le concours du Parti Communiste, imposa une politique sociale et économique à la Yougoslavie sans permettre aux gouvernés de s’exprimer librement. Ce régime connut des soubresauts, des convulsions revendicatives, des exclusions, mais il évita le pire à l’intérieur et à l’extérieur des frontières.

Il avait pris la précaution de s’intéresser à l’après-titisme et avait fait approuver en 1971 une formule de direction collégiale de l’Etat. Tito décéda en 1980. Pendant quelques temps, les problèmes soulevés par cette disparition préoccupèrent assez le monde politique yougoslave pour éviter les incidents graves ou les surmonter.

L’après Tito

En avril 1990 des élections ont eu lieu dans les six républiques. Deux, la Croatie et la Slovénie, ont voté à la majorité pour les opposants au communisme. Ce qui les amena à proclamer leur indépendance le 25 juin 1991. Deux jours après, l’armée yougoslave pénètre en Slovénie mais le 7 juillet elle se retirera, évitant ainsi une confrontation. Par contre, les combats commencent à la même époque entre Croates et Serbes. En septembre 1991 la Macédoine, à son tour, se déclare indépendante, puis en mars 1992 des politiciens serbes proclament la République Serbe de Bosnie-Herzégovine.

La Yougoslavie n’existe plus. Le vieux démon des ultra-nationalistes est réapparu et leur religion respective, au lieu de les apaiser, ajoute à leurs moeurs sanguinaires. Les massacres, tortures, viols, sont le fait des participants aux combats et de leurs chefs qui laissent faire lorsqu’ils n’excitent pas. Mais il faut se méfier des histoires colportées. Celle par exemple des yeux arrachés qui remplissent un panier ; cette autre où un civil est crucifié puis écorché vif. A quelques variantes près on les trouve dans Les assassins au nom de Dieu de Pierre Laurière [3]. La deuxième version dans « Amnesty International » de novembre 1992, signée Daniel Mermet, et publiée sous toutes réserves.

En ce qui concerne les nationalités, il faut éviter d’avoir un jugement abrupt. Dans un article du Monde , « Imaginer la Paix » du 11 février 1994, André Fontaine écrit : ... si à Sarajevo les Serbes assiégèrent une population à dominance musulmane, à Mostar d’autres Serbes aident d’autres Musulmans à résister aux Croates. Au nord-ouest et au nord-est, Croates et Musulmans sont alliés contre les Serbes. Dans leur partie du centre, les Musulmans font face aux seuls Croates. Dans le sud ce sont les Serbes qui se mesurent aux Croates. Dans la poche de Bilhac, à l’extrême nord-ouest, les Musulmans se battent entre eux...

Or cette situation, ce mélange, ces enclaves, on les retrouve dans les six républiques qui composaient l’ex-Yougoslavie. Comment ces populations peuvent-elles s’en sortir sans changer de mentalité ? Ce n’est sûrement pas en menaçant d’écraser l’armée serbe que l’O.N.U. y arrivera. A ce stade, ce n’est pas la Paix, mais une trêve, un goût amer qui s’ajoutera au goût de profonde humiliation.

Collage sur un mur de Mulhouse

La tentation militaire

Les accusations que l’on porte contre les Serbes, exactes en grande partie, peuvent aussi cacher le danger que représente une intervention armée dirigée par l’O.T.A.N. et non par l’O.N.U. qui elle, n’a pas voulu, jusqu’à présent, porter le chapeau. Les membres de l’O.N.U. jouent en ce moment la Guerre ou la Paix à pile ou face.

Que se serait-il passé à la fin de l’ultimatum si les Russes n’avaient pas débarqué, au dernier moment, à Sarajevo ? Que va-t-il se passer à Tuzla le 18 mars ? Voici une des possibilités dans la bouche d’un combattant américain : Juchés sur leurs appareils, posant pour les caméras, un pilote de F.15... et un autre de A10 se livrent à des discours comparatifs. On fait salon sur les pistes ». Un peu plus loin : « Affreux mon A10 ? Peut-être, mais on ne l’a pas appelé – le tueur de tanks – pour rien. A bord vous pouvez charger n’importe type de bombe et je vous garantis que ça fait du bon boulot . Un peu plus loin encore la rédactrice écrit : Les boys vont tuer le temps au Western House ou au California . [4].

On tue ce qu’on peut ... A défaut de tankistes ! Mais c’est le temps qui l’emportera ... Toujours ! Cette froideur de l’homme – un pilote d’engins sophistiqués – n’est pas qu’il admire sa machine de mort, conçue pour tuer, fabriquée pour tuer, pilotée pour tuer. Mais qu’il ne frémisse même pas à cette pensée a de quoi faire peur, très peur. Sans pilote, ni l’avion, ni les missiles ne sont dangereux. C’est pour cela que nous pensons, nous pacifistes intégraux, qu’il faudrait que les hommes d’Etat qui nous gouvernent et qui veulent la paix s’occupent d’urgence de savoir d’où viennent les armes et les munitions dont se servent les combattants.

Nous somme étonnés que les polices nationales et internationales, qui découvrent tous les ans des tonnes de drogue, ne fassent tache d’huile (c’est une locution à la mode).

Une police spéciale pour découvrir les marchands d’armes et les acheteurs clandestins, mais aussi les fabricants. Il est vrai que les nations membres de l’O.N.U. sont aussi fabricants d’armes. Pourrait-il y avoir double jeu ?

Pour inspirer confiance à ceux qui se font la guerre, il faudrait que certains représentants de nations membres de l’O.N.U. aient quelques pudeurs dans leurs interventions verbales. Ils devraient se souvenir que les guerres sont faites pour tuer l’autre, le « sauvage », que les « tapis de bombes », armes des riches civilisés, massacrent indistinctement leurs victimes. Beaucoup meurent à l’instant, mais les survivants rendus manchots, cul-de-jattes, aveugles, défigurés, souffrent misérablement leur vie restante. Quant aux tortures, il ne faut pas non plus jouer au Tartuffe. Il semblerait que cela ne les empêche pas de dormir. Il faut donc, autant que possible, ne pas confier cette paix qui s’amorce aux militaires. Ce n’est pas leur affaire.

L’ensemble des nations qui se situent dans les Balkans sont en guerre depuis des siècles, tantôt alliées, tantôt ennemies, tantôt vainqueurs, tantôt vaincues. Il est certain que la PAIX, une véritable paix dont la base ne peut être que la liberté de conscience, les droits de l’homme, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, va rencontrer beaucoup de difficultés à s’instaurer et à se maintenir.

La solution pacifiste

Pour en arriver là, il faudrait faire fi de la notion de vainqueurs et de vaincus, et en terminer avec les traités imposés par les vainqueurs, qui donnent, qui donnent aux vaincus le désir de revanche.
Dans ces conditions le rôle de l’O.N.U. doit se préciser, sa vocation n’étant pas d’être gendarme mais conciliatrice. En tant qu’organisation des NATIONS-UNIES, elle serait à l’abri des discordances à grand spectacle. Ce qui revient à dire que sa tribune ne devrait pas être celle de telle ou telle nation.

La fonction de l’O.N.U. serait alors de convaincre civils et combattants de participer à une négociation organisée par elle sur des bases pacifiques et non plus sur des rapports de forces combattantes.
Concilier, convaincre, informer : voilà un domaine dans lequel les médias pourraient se mettre au service des populations et aider au processus de Paix. Déclencher une prise de conscience qui déferle dans les mentalités comme la guerre y a déferlé.

Arru-Saulière

Union pacifiste des Bouches-du-Rhône


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