L’Abbé Roure, contradicteur des conférences de la Libre Pensée des Bouches-du-Rhône
Article mis en ligne le 19 juin 2012

par SKS

Dans les décennies 1960/1970, sous l’impulsion d’André Arru, la Fédération départementale des Libres Penseurs des Bouches-du-Rhône organisait plusieurs tournées de conférences par an dans le département. A Marseille, les conférences avaient lieu au Cinéma La Plaine, Place Jean Jaurès. Celles d’André Lorulot remportaient un vif succès. A cette époque, Lorulot était un petit bonhomme déjà âgé, avec une fine barbiche poivre et sel, des yeux vifs, un sourire malicieux. Et un art extraordinaire d’exposer ses idées, de raconter des anecdotes, de subjuguer son auditoire. Chaque manifestation de la Libre Pensée se terminait par un débat « libre et contradictoire » auquel participait avec assiduité l’abbé Roure. Les interventions de cet homme d’Eglise étaient si maladroites qu’on demanda plusieurs fois aux organisateurs s’il était payé pour cela ! L’abbé Roure s’étant plaint de la modestie de ses revenus l’empêchant de renouveler ses chaussures, Lorulot lui conseilla de former un syndicat. [1]

Pour assurer la contradiction, l’abbé Roure avait pour habitude d’assister à la première des conférences, généralement dans une ville de moyenne importance (Aix-en-Provence, Arles, Martigues ou Salon) de prendre des notes et d’arriver aux suivantes avec des arguments préparés à tête reposée. Ayant compris le système, Lorulot décida de traiter le sujet à chaque fois de façon différente, quitte à en répéter de temps en temps le titre. L’abbé Roure protesta en public, demandant comment il allait pouvoir porter la contradiction si le contenu de la conférence changeait à chaque fois, et obtint un rire général dans la salle.

Voici un échange de lettres – recommandées ! – qui donne une assez bonne idée du climat de l’époque. Il s’agit cette fois des conférences données par Paul Lapeyre, avec pour titre vraisemblablement « L’Eglise et les travailleurs ». Contrairement à Lorulot, Paul Lapeyre traitait son sujet de façon quasi identique d’une réunion à l’autre. L’exposé de l’abbé Roure témoigne d’une faculté d’interprétation assez extraordinaire…
André Arru est le signataire de la réponse.

Marseille, 12 décembre 1962

L’Abbé Roure

à

Monsieur (ou Mme) responsable à la propagande de la Libre Pensée des Bouches du Rhône.

Maintenant que je commence à avoir un peu de temps libre après la grosse surcharge provoquée par ma présence hors de Marseille durant quatre soirées successives de la semaine dernière lors de la tournée de Mr Paul Lapeyre, je me permets de vous écrire pour porter à votre connaissance un fait regrettable au sujet duquel je n’ai pas fait d’esclandre par pure courtoisie à votre égard :

Jeudi soir à Chateaurenard, vous n’avez pas été sans remarquer qu’une dame, arrivée en retard est venue s’installer au tout premier rang. Puis, lorsque je me suis levé pour parler, elle a demandé de s’asseoir à ma place, ce à quoi j’ai accédé aussitôt afin qu’elle puisse s’adosser au mur au lieu d’avoir une place sur un banc sans dossier.

Or lorsque j’ai récupéré ma place après mon intervention et que cette dame a réintégré sa place initiale, j’ai jeté un coup d’œil sur mon enregistreur magnétique afin de voir si le courant débité par les piles était toujours suffisant. A ma grande surprise, le signal lumineux était éteint. Soulevant le couvercle, j’ai alors constaté que les bobines ne se déroulaient plus, bien qu’il y ait encore une importante longueur de bande qui n’ait pas été impressionnée. Regardant alors le clavier de commande de l’appareil, j’ai constaté qu’on avait appuyé sur la touche stop [2].

Comme, à ce que je sache, vous ne croyez pas aux miracles, vous admettrez que cette touche ne s’est pas enfoncée toute seule, d’autant que sur cet appareil cette touche ne s’enfonce que sous une pression vigoureuse [3].

Étant donné qu’il n’y avait que cette dame à côté de l’appareil, je suis obligé d’en conclure que c’est cette personne qui s’est permis de couper l’enregistrement.

On ne peut mieux avouer à quel point était gênant pour la Libre-Pensée que soit diffusé le texte de mon intervention.

J’enregistre cet aveu de défaite. D’autre part, il y a plus grave : En auditionnant la bande, on constate :
1° - que le début de mon intervention est enregistré, ce qui prouve bien que ce n’est pas moi qui ai coupé l’enregistrement avant d’intervenir (ce que je ne fais d’ailleurs jamais car je tiens à ce que tout soir enregistré, aussi bien la conférence elle-même que l’échange qui la suit) ;
2° - que la manœuvre d’arrêt de l’appareil a été précédée par une manœuvre d’accélération : on a d’abord appuyé sur la touche déclenchant un dévidemment ultra-rapide de la bande afin de tâcher de faire dérouler tout ce qui restait de bande non-impressionnée avant que je regagne ma place, cela évidemment afin que je n’aie plus de bande pour enregistrer la fin de la réunion.

Vous serez comme moi d’avis, j’espère, que de tels procédés sont parfaitement déloyaux et parfaitement regrettables.

En tout cas, ils ne font guère honneur à ceux qui s’abaissent à y recourir, et je souhaiterais recevoir de vous une lettre m’affirmant que vous êtes les premiers à condamner de telles manœuvres. Faute de quoi, je serais obligé de penser que ce sabotage de l’enregistrement a été prémédité et réalisé sur votre initiative, ce qui m’attristerait profondément, car je voudrais pouvoir vous considérer comme des gens loyaux.

Veuillez agréer, je vous prie, l’expression de ma sincère amitié : parce que je suis chrétien et encore plus parce que je suis prêtre, je me refuse de céder à la haine et à la déloyauté par une rigoureuse loyauté et par un amour tenace, … ce qui, d’ailleurs, n’exclut pas la fermeté lorsque, consciemment ou non, on se laisse aller à caricaturer devant moi la religion chrétienne ou un fait historique quelconque.

Votre bien dévoué par amour du Christ

Roure

P.S. – Je m’excuse de vous envoyer sous pli recommandé cette lettre. Mais ces jours derniers, une de mes lettres s’est égarée, et je tiens à ce que celle-ci vous parvienne.

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4 Janvier 1963

La Libre Pensée des B-d-R à Monsieur l’Abbé H. Roure

Monsieur,

C’est uniquement par courtoisie que nous répondons à votre lettre du 12 décembre que nous avons eue en mains le 28 décembre.

Il nous apparaît en effet que vous affabulez sur un incident d’une minime importance par rapport aux sujets que nous traitons, que nous vous demandons de venir débattre et QUE NOUS AUTORISONS A ENREGISTRER [4].

Nous relevons tout de même que vous oubliez d’indiquer dans l’exposé des faits :

1° - Qu’une personne vous accompagnait et qu’assis à 50 centimètres face au magnétophone, elle n’a pas bougé de sa place pendant tout le temps de la réunion. Comment se fait-il qu’elle ne soit pas intervenue au moment du prétendu sabotage, qui selon vos dires a demandé assez de temps ?

2° - Que vous avez enregistré ENTIÈREMENT ces réunions QUATRE FOIS (conférence – contradiction – réponses). De ces quatre enregistrements il ne vous manque uniquement que votre contradiction de Chateaurenard. Il vous reste vos réponses d’Aix, de Martigues et d’Arles, faites les 3, 4, et 5 décembre 1962, sur la même conférence donnée à Chateaurenard le 6 décembre. Pensez-vous donc que vos trois interventions manquent à ce point d’intérêt que vous ne puissiez les diffuser ?

Si nous raisonnions comme vous, nous « enregistrerions cet aveu de défaite », mais nous nous en garderons bien, nos méthodes de déduction sont très différentes.

Enfin, permettez-nous d’être étonnés : nous, en effet, et comme vous l’écrivez si bien, nous ne croyons pas aux miracles, mais vous, Monsieur l’Abbé, vous pourriez peut-être y croire, non ?

Trêve de plaisanteries, Monsieur Roure, ne nous accusez plus gratuitement et inconsidérément. Méfiez-vous de votre penchant à « céder à la tentation de (nous) haïr ». Dans des réunions organisées uniquement par nous [5]
, vous avez pu depuis deux ans, devant des milliers de personnes [6] : parler pendant des heures, distribuer vos brochures, prendre des rendez-vous, enregistrer des dizaines de conférences. Ce n’est tout de même pas de notre faute si vous n’avez pu convaincre le public que nous nous sommes efforcés de vous procurer ! Alors, Monsieur l’Abbé, comme prêtre, comme chrétien essayez d’être aussi généreux que les Libres-Penseurs. Nous savons que c’est difficile, mais faites quelques efforts, nous vous en tiendrons compte.

Nous profitons de cette lettre pour vous informer que Georges LAS VERGNAS fera une conférence, toujours publique et contradictoire, à Marseille le Dimanche 3 février 1963 à 9 h 30 au Cinéma de La Plaine. Nous espérons vous trouver fidèle au rendez-vous, car nous nous refusons de croire que votre lettre recherchait une mauvaise querelle, pour vous dégager d’une controverse que vous (ou vos supérieurs) commenciez à trouver gênante pour l’Église.

A bientôt donc, Monsieur l’Abbé, avec nos salutations sans rancune, auxquelles nous ajoutons puisque l’occasion se présente, nos meilleurs vœux pour l’an 1963, sans réticence et sans condition.

LE DÉLÉGUÉ A LA PROPAGANDE :

A. ARRU

P.S. Le titre de la conférence sera : Pourquoi j’ai quitté l’Église. Ultérieurement nous vous communiquerons les autres réunions qui seront données dans les B-du-R.

Nous vous prions de nous excuser de vous répondre par pli recommandé, mais nous ne pouvions vous traiter avec moins d’égards que vous ne l’avez fait vous-même.