Débat entre le M.F.A. et la F.A.
Article mis en ligne le 13 avril 2011

Débat entre le M.F.A. [1] et la F.A. [2] qui se déroula à Marseille, de décembre 1946 à février 1947.

Extrait du compte rendu des interventions :

Doërr du M.F.A. :

… A l’heure actuelle, l’État est une organisation au service du capitalisme. Il suffira de mettre cet Etat au SERVICE DE LA COLLECTIVITÉ, c’est-à-dire de le faire SOCIALISTE pour que l’organisation actuelle devienne profitable à l’organisation de la société.

Les Anarchistes nous donnent l’impression qu’ils vont abandonner la société où nous sommes pour aller construire ailleurs, dans un PARADIS, une société parfaite. La société anarchiste ne peut pas, certes, n’être pas parfaite, mais pour atteindre cet idéal, il nous faut franchir un espace de temps qui peut être de quelques mois, de quelques semaines, de quelques années peut-être, de quelques décades même, et même si ce temps est court, il est impossible à la France de se suspendre au-dessus des nuages en attendant d’avoir pu trouver les nouvelles assises… Je suis convaincu qu’un anarchiste ne refuse point de marcher sur une route construite par l’État.

Conservez donc ce qui est bon, supprimez ce qui est mauvais, et au moyen de ce premier échelon qu’est l’état actuel, faisons la reconstruction de notre société anarchiste.

Je ne suis pas POLITICIEN, mais j’ai eu le courage d’examiner, avec les camarades, ce qu’il y aurait lieu de faire pour profiter de la période électorale pour propager nos idées… Je suis le premier à reconnaître que la constitution est mauvaise, que le capitalisme a donné aux français des lois d’oppression.

Mais si, au lieu de s’abstenir, tous les anarchistes de France avaient VOTE CONTRE LA CONSTITUTION… il est possible qu’elle n’ait pas passé… Je ne puis que regretter que sous couvert de liberté les libertaires s’opposent au seul moyen qu’ils ont de défendre leurs idées…Chaque fois qu’il y a un moyen d’annihiler les effets néfastes des politiciens, les anarchistes devraient l’employer… »

A. ARRU ( F.A.) :

… Doërr vient de nous dire « Je suis partisan de l’état ». Je lui demande de quelle façon il fera pour être étatiste sans être politicien. Car enfin l’État :

 ou bien c’est la DICTATURE, la dictature qui ne veut pas de politique, qui dit « c’est moi qui commande, je suis le chef et si vous vous y opposez JE FRAPPE »
 ou bien c’est la POLITIQUE, qui accepte la liberté, qui permet à chacun de s’exprimer. Alors, vous élisez des représentants, des DÉPUTÉS, qui vont à la Chambre prendre le pouvoir pour organiser la société.

Et alors, il y a pour moi deux solutions :
  ou bien vous êtes un futur DICTATEUR
  ou bien vous êtes un futur POLITICIEN.

Je ne vous ai pas dit que vous êtes un politicien comme ceux d’aujourd’hui. Je vous avertis seulement : si vous prenez aujourd’hui le chemin de la politique, vous n’êtes pas aujourd’hui un politicien comme les autres… vous serez demain un politicien.

En France, si vous voulez prendre le pouvoir, vous n’avez qu’un moyen : vous présenter aux ÉLECTIONS. Vous présenter aux élections, c’est faire des affiches, des milliards d’affiches, c’est monter sur les trétaux, et puis faire une synthèse de ce que vous étiez hier et de ce que vous AVEZ BESOIN D’ÊTRE pour qu’on vous élise. Vous avez besoin, pour être élu, de faire cette synthèse afin de ne pas effaroucher l’électeur. Si les socialistes, si les communistes, ont abandonné tout ce qui était autrefois leur raison d’être, ce n’est pas parce qu’ils étaient de mauvaise foi, c’est qu’il leur a fallu agir ainsi pour accéder au pouvoir.
Doërr, si vous allez à la Chambre, vous deviendrez un DÉPUTÉ COMME LES AUTRES, vous ferez comme les autres. »