Article d’André Arru paru dans « LE LIBERTAIRE » n° 184 du 3.06.1949
LA FILLE AINEE DE L’EGLISE
Article mis en ligne le 22 août 2008

En 1936, l’avènement du Front populaire, présidé par Blum, juif et socialiste, donna de fortes inquiétudes au bas et haut clergé de France et peut-être pourrions-nous retrouver dans les combles de certaine congrégation féminine de Saint-Laurent-sur-Sève, quelques-unes de ces centaines de robes claires et à la mode de 1937 qui, sur le conseil de la Révérende Mère Supérieure de ladite congrégation, devaient servir de camouflage à toutes ces dames à cornettes, dans le cas d’une révolution.
Hélas, Blum et ses acolytes socialistes et radicaux, après avoir pris le pouvoir, se hâtèrent de pactiser avec le capitalisme et l’Eglise, en décrétant pour le premier « la trêve » et pour la seconde (après avoir menacé de lui supprimer l’enseignement confessionnel dans les écoles d’état d’Alsace) en lui garantissant le statu quo.

Le cycle de la trahison du Front popu était complet : la trêve qui permettait de briser l’élan de la classe ouvrière française, la non-intervention qui isolait le peuple espagnol en lutte contre le fascisme, l’aide de la démocratie de France – le statu quo pour l’enseignement qui permettait à l’Eglise de conserver la mainmise sur l’éducation de 1.500.000 enfants.
Le Vatican pouvait se réjouir. Il porte, en effet, une affection particulière à la nation qu’il appelle sa fille aînée et ce pour de multiples raisons : richesse d’abord ; la propriété foncière de l’Eglise en France et dans ses colonies est fabuleuse, par le simple jeu des propriétés immenses, et d’un nombre considérable, que possèdent les plusieurs centaines de congrégations masculines et féminines. Il faut ajouter à cela la richesse des évêchés et archevêchés. Ensuite, par sa position géographique, la France est la plate-forme qui relie Rome à la Belgique et à l’Espagne, les deux pays les plus catholiques d’Europe et où l’Eglise doit défendre de gros intérêts matériels et moraux ; c’est aussi une porte qui s’ouvre sur les pays germaniques et anglo-saxons, ce qui n’est pas à négliger, sans oublier les vastes colonies françaises qui laissent au Vatican une possibilité énorme de pénétration, source de profits de toutes sortes. N’oublions pas enfin les affaires monumentales de Lourdes et de Lisieux qui, en dehors des profits matériels, sont des miroirs à alouettes pour la propagande internationale. Mais si 1936 marqua l’époque où l’influence de l’Eglise catholique était la plus basse en France, la guerre et l’occupation lui permirent de raffermir ses positions. Elle ne manqua pas de le faire en jouant un jeu extrêmement habile.
Dès Pétain au pouvoir, l’Eglise s’attaque à l’école laïque dans son fief : l’Ecole Normale, pépinière d’éducateurs profondément libre-penseurs. En quelques mois, elle démantibule parfaitement ce château fort de la laïcité, puis fait accorder aux écoles catholiques de larges subventions. Cette offensive n’est pas le fait du hasard, l’Eglise ne s’est jamais résignée à voir l’Ecole lui échapper et agit toujours pour supprimer tout enseignement autre que le sien. Pie XI le disait clairement dans son encyclique sur l’éducation :
« … Ce que nous voulons, c’est que tout l’enseignement soit régi par un esprit vraiment chrétien, sous la direction et la maternelle vigilance de l’Eglise, de telle façon que la religion soit le fondement et le couronnement de tout l’enseignement à tous les degrés. »
Mais le Sacré Collège ne perd pas son temps, il sait qu’une guerre ne dure pas toujours et que l’après-guerre réserve des surprises, surtout quant à la pérennité des gouvernements. Pour la France, la tâche sera assez simplifiée. Deux généraux se disputent le pouvoir, on jouera sur les deux tableaux. Tous deux sont cléricaux, leurs entourages de Haut commandement militaire sont tout dévoués à l’Eglise, sortant tous de ces hautes écoles militaires françaises qui, par tradition et par d’adroites manœuvres jésuitiques, sont cléricales. Il suffira donc de dépêcher dans l’entourage politique de l’un et de l’autre quelques-unes de ces éminences grises susceptibles de suggérer, prévoir, discuter, marchander, envelopper, finasser, menacer au besoin. Puis, au fur et à mesure que les événements avantageront de Gaulle, lâcher peu à peu Pétain et jouer à fond le jeu du « Sauveur de la France ».
Ainsi, lorsque de Gaulle et son gouvernement rentreront en France, croix de Lorraine en bataille, le dispositif qui permettra à l’Eglise de conserver les conquêtes réalisées sous Pétain sera bien en place. Le clan clérical sera partout : à la tête du gouvernement, sur les bancs des ministres, dans le personnel diplomatique, dans le haut commandement militaire et aussi à la tête des différents mouvements de résistance, jusques et y compris de superbe « Front National », filiale du Parti Communiste.
Tant et si bien que la répression de la libération s’abattra sur bien des épaules, mais évitera les Grands de l’Eglise, tels Messeigneurs Baudrillard, Gerfier, Suhard, grands souteneurs de Pétain, de la collaboration, de la L.V.F. et autres amusettes.
Tant et si bien que le journal « La Croix », qui parut pendant toute l’occupation, défendant la politique pétainiste et lavalienne, reparaîtra après seulement quelques semaines d’interruption, évitant ainsi toutes les lois de confiscation de biens dirigées contre les journaux collaborateurs.
Tant et si bien qu’il fallut dix-huit mois au Gouvernement de la Libération pour supprimer THEORIQUEMENT et sous la pression d’un vaste mouvement en faveur de la laïcité, les subventions accordées par Pétain aux écoles catholiques.
Aujourd’hui encore, l’Eglise mise sur deux tableaux : l’un le parti clérical M.R.P. et les syndicats chrétiens qui flirtent avec la République, l’autre le parti clérical R.P.F. (malgré ses quelques enfants terribles), qui est la dictature paternaliste à la manière de Franco.
Par son double jeu constant, l’Eglise possède actuellement en France une position fortifiée : elle contrôle une bonne partie de la presse, du cinéma, de la radio, prend une place de plus en plus grande dans le gouvernement et ainsi peut installer dans tous les rouages de l’Etat ses hommes de mains, et surveille la grande majorité du haut personnel militaire. Elle s’insinue dans la classe ouvrière au moyen de ses syndicats, de ses équipes sociales, du Mouvement Populaire des Familles, des caisses de Sécurité Sociale. Elle se sent si bien soutenue qu’elle ose se battre, elle la prudence même, et va jusqu’à employer l’action directe dans le cas, par exemple, de la nationalisation des écoles catholiques des houillères. Plus encore, la paix est à l’ordre du jour, alors l’abbé Boulier parlera au nom de certains partisans de la paix et l’abbé Pierre parlera au nom d’un gouvernement mondial d’obédience différente. Mgr l’Evêque d’Aix, lui, fera partie d’un comité d’honneur d’un congrès de fédéralistes où l’on invitera Marcelle Capy à parler au public.
Voilà où nous en sommes, il suffit à présent d’un petit coup de pouce sur le plan politique pour qu’en France l’Eglise retrouve, à l’exemple de l’Espagne, sa toute-puissance du XVlème et XVIIème siècles.
Mais il suffit aussi que les penseurs libres agissent pour que l’échafaudage des combinaisons jésuitiques s’écroule, ensevelissant sous ses décombres la monstrueuse et criminelle Eglise catholique, apostolique et romaine.

André Arru


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