Article d’André Arru paru dans le numéro 4 de L’Intersyndicaliste d’avril/mai 1983, dans la rubrique "Tribune de discussion".
TOUJOURS PLUS ?...
Article mis en ligne le 20 septembre 2008

Je suis très souvent surpris de constater que les idéalistes de notre temps, dont le désir est d’harmoniser les rapports humains, ne s’inquiètent que peu ou même pas du tout de l’explosion démographique qui représente la pierre d’achoppement sur laquelle tout progrès butte. Dernièrement, discutant avec un militant abondanciste, je fus stupéfait de l’entendre dire que Malthus s’était fourvoyé et que sa « loi » était erronée.
Cette réflexion faite par un défenseur de thèses révolutionnaires, au moment même où la population du globe est en train de cristalliser les cataclysmes par une prolifération sans mesure, me semble dangereuse. De plus, elle n’est pas rare dans les milieux avancés qui devraient tenir compte de toutes les réalités qui nous entourent, même si cela doit remettre en question des convictions pré-établies.

Revenons à MALTHUS [1]. Dans son Essai sur le principe des populations paru en 1803, il tentait de démontrer que :
1°) Toute la population humaine, si aucun obstacle ne l’en empêche, tend à croître selon une progression géométrique (2, 4, 8, 16, etc.).
2°) Les moyens de subsistances de cette population, particulièrement la nourriture, dans les circonstances les plus favorables, augmentent selon une progression arithmétique (2, 3, 4, 5, 6, etc.).
Cent quatre-vingt ans après que disent les chiffres ?
Une population qui s’accroît chaque année de 3,5 % double en vingt ans, de 2,5 % en vingt-huit ans, de 2 % en trente-cinq ans. Les taux actuels de croissance varient entre 1,1 et 3,8 %, ce qui représente une moyenne mondiale de 2 %. Les taux au-dessous de 2 % s’établissent dans les pays dits développés, au-dessus pour les autres.
Il faut savoir aussi que si l’ensemble des nations que notre planète comporte menaient, dès aujourd’hui, une politique effective des naissances vers l’indice Zéro [2], il faudrait soixante-quinze ans pour y parvenir. Ajoutons encore « qu’avec une fécondité constante et une mortalité en baisse ils (les populations de pays peu développés) pourraient atteindre en 2050, plus de dix fois leur taille actuelle » [3].
En l’an 1800 la terre possédait un milliard d’habitants, en 1900 nous en trouvons 1650 millions et en 1980 quatre milliards ! Et ce malgré les famines, les épidémies, la mortalité infantile, les cataclysmes, les guerres.
Depuis quelques années une tendance à provoquer une limitation des naissances se fait jour dans quelques régions surpeuplées : Chine, Inde, Tunisie, etc. En tenant compte de ce fléchissement dans les prévisions, nous arrivons aux pronostics suivants : 6,5 en l’an 2000, 11 à 12 milliards en 2050. Et si la moyenne du pourcentage restait à 2 % de progression, comme dans le présent, le chiffre passe à 28 milliards en 2080 !!! [4]
La tendance de croissance de population indiquée par Malthus était bien réelle puisque deux siècles après elle se confirme en se précisant.
Passons à présent à la deuxième proposition qui intéresse la subsistance de ces populations existantes et en ascension numérique. De nos jours on constate que les pays surpeuplés voient leur sous-nutrition s’accentuer au rythme de l’augmentation de la population, et ce malgré un PNB (produit national brut) en hausse et une aide internationale qui, bien qu’insuffisante, rentre tout de même en compte [5]. Il ne peut en être autrement ; chaque enfant nouveau-né représente une dépense supplémentaire, qui s’inscrit sur plusieurs années, sans production compensatrice. Les statistiques sont difficiles à reproduire ici par manque de place. Elles se font pays par pays, annuellement et par décennies, et comparativement, etc. [6] Contentons-nous des conclusions du rapport de « La Conférence des Nations Unies sur les Pays les moins avancés » (PMA) qui concerne trente et un pays représentant deux cent soixante quinze millions d’habitants. Il nous indique que le revenu moyen de chacun d’eux est de deux cent dollars par an et constate que « l’accroissement démographique a entraîné une diminution des revenus par habitants. » [7]
Ainsi la deuxième partie de la thèse de Malthus se trouve, elle aussi, confirmée. Il faut ajouter encore, que si les pays développés ont commencé une lente dégression démographique, ils le doivent aux Néo-malthusiens qui, malgré les dogmatismes religieux et la propagande à prévisions guerrières des nationalistes, ont propagé et complété les informations sur la « loi » de Malthus et les moyens anti-conceptionnels connus en ce début de siècle. Diffamés, pourchassés, condamnés, ils méritent un coup de chapeau au passage [8].

Croissez et multipliez est un slogan d’une époque révolue, la terre n’est pas extensible. Nous sommes actuellement quatre milliards, c’est déjà trop. S’il faut de la nourriture en quantité, qualité et variété suffisantes pour faire un corps sain, l’être humain pour se maintenir en vie a besoin d’autres choses. L’espace où il peut s’ébattre, sans gêner son semblable, est aussi vital. Et ses capacités techniques, sa volonté de maîtriser, de dominer les éléments font que ses besoins deviennent de jour en jour plus importants. On sait aussi que l’entassement est une source de turbulences qui provoquent le renforcement et les excès des autorités ; il augmente les troupeaux et crée de nouveaux troupeaux... C’est aussi un facteur de misère sociale et culturelle. L’emploi des drogues, les dépressions mentales, la violence dans le comportement individuel, en sont des exemples. Les rats et les charançons, entre autres espèces, s’entre-dévorent lorsqu’ils sont trop nombreux.
La vie qui a pu se développer sur ce globe a besoin d’étendues vierges qui alimentent l’air que nous respirons, d’eau douce et d’atmosphère non polluée. Toutes choses que l’homme est en train de détruire. Depuis qu’il existe il saccage tout ce qui l’entoure. Autrefois il se transportait dans d’autres lieux, aujourd’hui, il ne peut aller ailleurs, tout est occupé.
Il est hélas exact qu’on peut être peu nombreux et user de violence, faire des guerres et s’exploiter l’un l’autre. La limitation des naissances n’apporte que peu de progrès si elle n’est pas complétée par une répartition équilibrée de l’ensemble de la production mondiale. C’est évidemment un tout inséparable. Ce que l’on appelle le « planning des naissances » doit être complété, lié à un « planning économique, social et culturel » qui associe l’ensemble des activités des habitants de la terre au bien être de chacun, qui transforme rivalité en solidarité.

André ARRU


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