Article d’André Arru paru dans {Le Libertaire} du 2 décembre 1949.
ANARCHIE ET OBJECTION DE CONSCIENCE
Article mis en ligne le 7 décembre 2008

ANARCHIE ET OBJECTION DE CONSCIENCE

La philosophie anarchiste enseigne que les groupes humains peuvent et se doivent de vivre dans la paix, mais que la guerre n’est pas seulement le choc de nation contre nation ou de bloc contre bloc, mais encore et surtout l’état de guerre permanent que l’homme fait contre l’homme et qui est l’apanage de toute société basée sur l’autorité, c’est-à-dire sur l’injustice économique et sociale qui confère aux « Chefs » des privilèges au détriment des « inférieurs ». Ainsi dans l’état présent ou passé des groupes sociaux, tout individu se trouve dans l’obligation, pour vivre, de lutter contre les autres individus qui l’entourent et c’est celui qui montrera le moins de solidarité envers ses semblables qui aura des chances « d’arriver », de grimper le plus haut dans l’échelle sociale.

Pour l’anarchiste, donc, la guerre est là et pas ailleurs. Le combat de nation contre nation n’est que la suite, le développement fatal – j’allais dire secondaire – de l’état de guerre permanent qui existe entre tous les êtres humains. Et si l’hécatombe de la guerre sociale, représentée par la systématique exploitation de l’homme par l’homme, est plus discrète que celle des autres guerres, elle n’en est pas moins cruelle, brutale, inhumaine et le nombre de ses victimes par son cortège de maux : famine, misère, sous-alimentation, etc., etc., est incalculable.
Dans ses conclusions la philosophie anarchiste refuse donc non seulement toute participation à des guerres de nation à nation, mais encore à toute guerre d’homme à homme soit au moyen d’armes soit au moyen de systèmes économiques, tout en acceptant la libération des exploités par la violence, l’assimilant au geste du condamné à mort qui tue son gardien pour tenter de fuir et par là de vivre.
Ces conclusions de refus restent en partie théoriques car impraticables à la lettre par le militant anarchiste, ce dernier étant homme et ne pouvant refuser sous peine de se laisser mourir, toute participation à la vie sociale dans une société qui lui est imposée et qu’il ne peut fuir [1].

L’objecteur de conscience non anarchiste s’inquiète davantage de l’action violente de tuer son semblable. La société est organisée pour tomber dans le massacre collectif, il refuse de tuer ; sa propagande tendra à rallier le plus grand nombre de gens pour supprimer les guerres, mais il considère le problème économique comme secondaire. Par l’intermédiaire de ses organisations pacifistes il essaiera de faire pression sur les gouvernements pour que les guerres de nation à nation soient hors la loi. Il refuse la violence à tout le monde et n’admet pas davantage que le révolutionnaire puisse l’envisager pour se libérer du carcan d’esclave qui pèse sur le monde du travail. Son action personnelle est représentée par un acte unique : le refus de participer à la guerre ou à sa préparation et pour l’exemple il subira fier mais sans révolte la condamnation qui l’aura frappé.

Voilà pourquoi le fait d’être anarchiste n’implique pas forcément d’être objecteur de conscience et pourquoi aussi l’anarchiste discute l’objection de conscience, non pas dans l’acte de refus qui est beau, mais dans la raison, la logique du refus, qui laissent à désirer.
Considérant que les guerres ne seront supprimées que lorsque les régimes qui les portent en eux disparaîtront, pour l’anarchiste l’objection de conscience n’est qu’une forme de sa propre individualité ou qu’un moyen de protestation. Comme il reste libre de concevoir d’autres formes d’action individuelle mieux adaptées à sa personnalité ou d’autres moyens de protestation qu’il croit plus utiles à l’ensemble de la cause qu’il défend, il peut choisir d’être ou de ne pas être objecteur de conscience.

Néanmoins si la philosophie anarchiste et l’objection de conscience diffèrent dans leurs raisonnements, les hommes qui composent les unes et les autres des organisations qui les groupent se rejoignent très souvent dans une action commune. La plupart des anarchistes pensent en effet que si le pacifisme ne peut empêcher les guerres par les moyens qu’il propose, les organisations pacifistes peuvent et pourront, dans certaines circonstances, retarder le déclenchement d’une guerre par les moyens dont elles disposent ; et ce temps de gagné, mis à profit par des organisations plus révolutionnaires peut changer, si l’occasion se présente, les données du problème. C’est ainsi que, toutes réserves faites, l’objection de conscience est loin d’être incompatible avec l’anarchie.

Pour conclure, je tiens à préciser que ces lignes n’ont pour but de déprécier ni le pacifisme, ni les objecteurs de conscience. Elles peuvent être considérées comme une simple mise au point qui m’apparaît nécessaire en cette époque où le pacifisme semble connaître une nouvelle jeunesse, ce qui amène beaucoup de pacifistes et d’anarchistes à militer intimement.

Un grand nombre d’anarchistes considèrent, en effet, la propagande pacifiste comme un excellent débourrage de crânes et cette raison seule suffit pour qu’ils y participent. Quant aux objecteurs de conscience, nous les avons toujours défendus contre leurs bourreaux sans tenir compte des idéologies, philosophies ou confessions qui les animaient et nous n’avons aucune raison de changer notre ligne de conduite.

A. ARRU


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