Correspondances Voline/Arru (2)
Voline à Arru le 22 juin 1944
Article mis en ligne le 13 août 2015
dernière modification le 1er février 2016

par SKS

A noter : Pour des raisons de disponibilité typographique, nous avons mis en gras les mots initialement soulignés par Voline.

Marseille le 22 juin 1944

Mon très cher ami André,

Je viens de recevoir ta bonne lettre. Même si tu n’avais pas recouru au "chantage" (et tu l’as fait fort gentiment), je serais immédiatement allé te voir, à ton premier signe ; car, moi aussi je tiens à te parler posément, longuement, de toutes nos affaires.

Malheureusement, il y a, cette fois, une raison "foudroyante" qui s’oppose à mon déplacement immédiat : c’est mon état de santé. Depuis quelque temps, mon "petit bobo" intestinal s’est aggravé brusquement, et à un tel point qu’avant-hier j’ai dû prendre certaines mesures pour le cas d’une péritonite aiguë, d’une intervention chirurgicale urgente, même d’un décès éventuel. Toute la journée, j’ai eu des douleurs à peine supportables, et les jours précédents ce fut presque pareil, depuis deux semaines. Couché, je n’avais presque pas de soulagement. Bref, ce fut atroce et menaçant. Par un effort de volonté surhumain, j’ai continué tout mon travail. Hier, légère amélioration. Aujourd’hui, ça va bien : la crise est passée. Mais je crains fort que les fatigues d’un déplacement immédiat dans les conditions actuelles ne soient fatales pour mon état de santé de ces jours-ci. Je le crains d’autant plus que cette crise est venue, justement, au lendemain d’un voyage assez fatiguant que j’ai dû faire dans la Haute-Loire.

Remarque que notre rendez-vous n’est que partie remise. Naturellement, tu me feras connaître ton adresse ; et, aussitôt que mon état de santé me le permettra, je prends le train, même si tu es loin : sauf la santé,le reste n’a aucune importance : j’arrête le travail pour quelques jours, la dépense n’est pas un problème insoluble, etc. Donc, certainement à bientôt. Mais laisse-moi respirer un peu.

Je suis vraiment désolé de ce contretemps, car c’est pour la première fois de ma vie que quelque chose en dehors de ma volonté m’empêche de faire ce que je veux (je parle, naturellement, d’éléments, non pas d’hommes). Mais, cette fois, il faut que je compte avec l’élément "santé", pour éviter qch [quelque chose] de pire.

Du point de vue général, ne t’inquiète pas outre mesure : le mal en lui-même n’est, certainement, pas grave : il est devenu chronique et, en général, il faiblit (depuis 8 ans que je l’ai). Il faut, tout simplement, veiller aux crises pour éviter une péritonite. Tu me diras qu’il faut le faire diagnostiquer et soigner. Pour l’instant, c’est inutile. Car, des deux choses l’une : ou bien, il faut une opération, ou bien un régime etc. Dans les conditions actuelles, les deux éventualités sont impossibles. Et, puisqu’à mon âge les maux chroniques (sauf cas graves) passent d’eux-mêmes, il n’y a qu’à patienter et ne pas trop forcer les choses : éviter trop de fatigue, surveiller un peu la nourriture, bien mastiquer etc. C’est, justement, ce que je fais. Et, comme tu le sais, je supporte bien des choses assez fatigantes. Ce n’est qu’à certains moments qu’il faut faire attention. Et c’est justement un de ces moments. Donc, encore une fois, patientons, et –à bientôt ! Aussitôt que tu le pourras, donne-moi ton adresse. Je préparerai immédiatement mon voyage et je partirai dès que cela sera matériellement possible (au point de vue ch. de fer etc.).


J’ai été très contrarié de ne pas avoir vu Julie. Les choses se sont enchaînées d’une façon stupide : 1°/ vendredi, 26 mai, je m’en vais avec la valise chez toi – grève ; 2°/ samedi, 27 mai, bombardement ; 3°/ mardi 30 mai, il faut préparer vite mon départ ; 4°/ jeudi matin, à 7 h, je pars (j’ai laissé un mot à Julie mercredi, le 31 mai) ; 5°/ je rentre jeudi, 8 juin : impossible de toucher Julie !...

Je ne comprends pas comment elle n’a pas eu mon mot de mercredi 30 mai, puisque je l’ai mis dans ta boîte.

Embrasse-la de ma part et dis-lui que nous nous verrons bientôt. D’ailleurs, les évènements vont considérablement se précipiter. D’ici à quelques semaines, qui sait où nous serons… Peut-être, tous à Marseille, à nouveau ; ou, peut-être, tous ailleurs… De toute façon, je te verrai très bientôt, mon cher André. Et Julie aussi. Et d’autres amis aussi…

Pour finir, quelques petites affaires :

1° - Profitant d’un peu plus de liberté, je remanie beaucoup et je mets définitivement au point mon ouvrage. J’ai même modifié un peu la préface. Et je remanie toutes les parties ; car, j’ai décidé, au lieu de reporter toutes les explications etc. aux conclusions, de les disperser dans le texte même, ad hoc. C’est beaucoup plus net et frappant.

2° J’ai ta montre-bracelet. Je te l’apporterai.

3° Dis bien bonjour à Coder de ma part ; et aux siens. Je suis content de l’apprendre en bonne santé. A propos : demande-lui s’il a réussi à vendre mon blouson.

Je t’embrasse.

Voline


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